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Interview exclusive de Francois Zimeray pour Primo Europe
{© Interview réalisée par Jean-Pierre Chemla pour Primo-Europe
Article mis en ligne le 22 avril 2004

PRIMO-EUROPE : François Zimeray, bonjour. Nous avons appris votre éviction de la liste des candidats pour les prochaines élections européennes. Que s’est-il passé ? Comment se passe l’investiture d’un candidat aux élections européennes ? Les décisions se prennent-elles à l’échelon régional ou national ?

François Zimeray : La décision a été prise au niveau national, au plus haut niveau. Je suis convaincu que si elle avait été prise dans ma région, là ou les militants socialistes me connaissent depuis quinze ans, le résultat aurait été différent. Je n’ai aucun doute là-dessus. Normalement, vous savez, quand on est sortant, il est légitime dans tous les partis qu’on soit représenté, sauf quand on est gâteux ou qu’on a démérité. Je pense n’être ni l’un ni l’autre. Il y a donc autre chose.

Primo Europe : Votre candidature sera probablement rejetée par votre parti, le PS. Vous qui ne maniez habituellement pas la langue de bois, dites nous qui a voulu votre peau au sein du PS ?

François Zimeray : Ce que je peux dire c’est qu’on aurait voulu que je rentre dans le rang. On aurait voulu que je vote des sanctions économiques contre Israël. On aurait voulu que je ne dénonce pas la corruption au c ?ur du système palestinien que nous finançons. On aurait voulu que je me taise devant l’éducation à la haine financée par le contribuable européen dans les manuels scolaires palestiniens. On aurait voulu que je ne réagisse pas lorsque des responsables socialistes européens, en parlant de Jenine, qualifient ces évènements de génocide ou parlent d’un mur de camp de concentration, s’agissant de la clôture de sécurité. D’un, ce n’est pas ma conception de la vie politique, de deux, ce n’est pas ma conception de la vie non plus.

Donc, ceux qui ont voulu ma peau sont ceux qui, tout simplement, ne se sont pas reconnus dans ces idées défendues et qui sont fondamentalement équilibrées parce que mon combat n’a jamais été, comme on peut le faire croire, un combat pour un camp contre un autre mais tout simplement un combat pour la paix, pour que l’Europe change de politique au Moyen Orient ; par exemple pour que l’Europe trouve dans la société palestinienne des interlocuteurs avec qui une paix est possible, parce qu’il y a dans la société palestinienne des gens qui pensent : dialogue, paix, réconciliation, développement. Ces gens là, je trouve que notre rôle devrait être de les repérer, de les protéger et de les aider à prendre le pouvoir.

Au lieu de cela, nous avons sans cesse remis en selle un leadership usé qui a trahi les espoirs de paix, envoyé son peuple dans le mur, s’est compromis dans la corruption et le terrorisme. Mais moi, je n’ai pas accepté cela. Je ne l’ai pas accepté, pas simplement pour nos amis israéliens, mais également pour les palestiniens qui méritent mieux que ce leadership et que cet avenir que lui réserve ce leadership. Je ne l’ai pas accepté également pour l’Europe qui a une mission particulière que lui dicte son histoire.

Primo Europe : Selon vous, l’ombre de Pascal Boniface* plane-t-elle encore au-dessus du PS ?

François Zimeray : Je ne sais pas si c’est son ombre mais, en tout cas, ce sont ses idées.

Primo Europe : Une « militante de base », Frédérique Sprang, s’est révélée être une antisioniste enragée. Elle a réussi à imposer un texte-pétition qu’ont signé un grand nombre de personnalités du PS. Certains, comme Michel Rocard, disent avoir regretté, après coup, l’avoir signé, ne l’ayant pas lu avec attention. D’autres, comme Jean-Luc Mélenchon, y ont vu une « bouffée d’oxygène » après des mois de ce qu’ils considéraient être une orientation trop pro-israélienne du parti. Cette tendance n’a-t-elle pas été, au fond, toujours majoritaire au PS, malgré ce que les interventions de François Hollande et Dominique Strauss-Kahn avaient laissé entendre le 22 juin 2003, lors des « 12 Heures pour Israël » ?

François Zimeray : Cette tendance existe, elle est puissante, elle est portée par l’air du temps et par les calculs de certains. Je crois que la démographie va jouer un rôle. On croit qu’on peut jouer une communauté contre une autre. C’est un calcul immoral, dangereux, stupide. Il est stupide parce que même si je suis le premier à dénoncer l’antisémitisme beur, je suis le premier aussi à considérer que, dans son immense majorité, la grande communauté musulmane en France recherche l’intégration pour elle et l’apaisement et au Moyen-Orient. C’est une erreur stupide d’essayer de considérer qu’elle [la communauté musulmane] est unilatéralement orientée contre les juifs. C’est vraiment de l’antisémitisme par procuration. Il y a des moments où je ne reconnais plus le parti de Léon Blum.

Primo Europe : Disposez-vous encore d’alliés au sein de votre formation politique ? Quel est le poids politique du Cercle Léon Blum ?

François Zimeray : C’est une initiative récente. Le cercle Léon Blum, que j’ai fondé avec quelques amis, est présidé par Laurent Azoulay qui fait un très bon travail. Je suis sûr que ce cercle qui, déjà en quelques mois, a rassemblé beaucoup de gens dans la mouvance socialiste (plusieurs centaines, peut-être plusieurs milliers maintenant), va avoir une influence grandissante parce que ses idées sont au c ?ur des valeurs socialistes et on aurait jamais dû cesser de les défendre. Il y a des gens qui se reconnaissent, et pas seulement des Juifs, dans ce combat que nous menons. J’ai retenu comme leçon que les combats, en politique, se mènent à l’intérieur, jamais en claquant la porte.

Primo Europe : Franchement, vous attendiez-vous à autre chose que l’éviction dont vous venez de faire l’objet ?

François Zimeray : Je pensais que ce serait difficile, mais je ne pouvais pas imaginer que la raison ne l’emporte pas, et surtout je ne m’attendais pas à être totalement purgé des listes. Parce qu’une chose est de dire que d’autres personnes peuvent prétendre à être tête de liste, même si j’étais totalement légitime en étant seul sortant dans ma région. Je suis le jeune de cette délégation et en général, le renouvellement ne commence pas par les plus jeunes. On n’a jamais vu cela, dans aucun parti.

Je peux vous dire que les étrangers, au parlement de Strasbourg, étaient sidérés et consternés d’apprendre cela. Je ne m’attendais pas à ce que mon nom ne figure pas du tout sur la liste. Que je ne sois pas en numéro un, deux, trois, quatre ou cinq, soit. Mais sur douze noms, que je n’y figure pas, c’est presque d’une grande maladresse. Ca montre bien cette volonté d’élimination.

Primo Europe : Croyez-vous que votre éviction ait un rapport avec le raz-de-marée socialiste, lors des derniers scrutins régional et cantonal, qui aurait renforcé les tenants d’une ligne politique plus traditionnelle ?

François Zimeray : Oui, c’est possible que ça ait grisé. Certainement.

Primo Europe : Vous allez devoir abandonner prochainement votre mandat de député européen ?

François Zimeray : Ce n’est pas sûr. Tant que cela n’est pas fait, ce n’est pas définitif. C’est parti pour, en tout cas mais cela va beaucoup dépendre de la réaction des gens. Mais je continuerai le travail que j’ai commencé dans le cadre du Cercle Léon Blum et de l’association Med Bridge.

Primo Europe : Grâce à vous, des commissions d’enquête sur la destination des fonds européens à destination de l’Autorité palestinienne ont pu voir le jour. Où en sont leurs résultats ?

François Zimeray : Il y a une enquête secrète de l’office de lutte anti-fraude (OLAF) de l’Union Européenne dont je n’ai pas les résultats encore. Il y a eu un travail, fait par des députés européens, qui montre que le système doit être absolument réformé et surtout qu’il faut cesser l’aide budgétaire directe à l’Autorité Palestinienne.

Pour sa défense, la commission européenne dit qu’elle a stoppé l’aide budgétaire directe. Aujourd’hui, rétrospectivement, ils nous donnent raison. Leur défense est de dire qu’aujourd’hui, ils ont changé cela. Ce travail a été utile parce qu’à présent, l’Europe est beaucoup plus regardante et exigeante vis-à-vis des palestiniens sur l’emploi des fonds européens. Ca, c’est une certitude.

Primo Europe : Y a-t-il, après vous, des personnalités prêtes à reprendre votre flambeau ? La jeune député verte allemande, Ilka Schröder, avait fait preuve de la même pugnacité que vous.

François Zimeray : Elle ne sera pas réélue non plus. Malheureusement, mon sort va en faire réfléchir plus d’un qui pourrait être tenté de défendre Israël.

Primo Europe : Risque-t-on de voir votre travail de plusieurs années réduit à néant ?

François Zimeray : Non, je ne pense pas, parce que la commission européenne a changé beaucoup de ses attitudes. Il y a eu un changement radical depuis la commission d’enquête parce qu’ils ont terriblement peur d’être mis en cause. Si jamais on découvrait qu’il y a de l’argent européen qui a servi au terrorisme, ce serait un tel scandale que les dirigeants européens seraient poursuivis pénalement. Donc, cela est très grave.

Primo Europe : Nous avons tous suivi les péripéties et les difficultés que vous avez rencontrées pour obtenir les signatures nécessaires à la création de cette fameuse commission d’enquête. Incontestablement, l’anglais Chris Patten a été votre plus redoutable adversaire, multipliant obstructions et chausse-trappes pour vous mettre en défaut. Patten est-il représentatif de la sensibilité moyenne du parlement européen ?

François Zimeray : La sensibilité moyenne du Parlement Européen est pire que celle de Patten. Patten, il a l’arrogance du Quai d’Orsay anglais mais c’est quand même quelqu’un qui est frotté aux réalités, peu ou prou. La semaine dernière, j’ai entendu des parlementaires dire, en parlant du Mur, que c’était un mur de camp de concentration ; le président du groupe socialiste parlait de génocide en parlant de Jenine ; une député danoise disait, il y a quelques jours, que le Hamas faisait de la résistance. D’après les diplomates israéliens, le Parlement Européen est la scène politique la plus dure du monde pour eux dans le monde démocratique.

Primo Europe : Comment jugez-vous la frilosité de certains de vos collègues qui avaient avancé toutes sortes de raisons, plus mauvaises et invraisemblables les unes que les autres, pour ne pas signer votre appel ?

François Zimeray : Je crois que le courage ne fait pas partie des traditions politiques françaises.

Primo Europe : Le poids politique de l’Europe au Proche-Orient est-il, selon vous, ce qu’il devrait être ? Que devrait faire l’UE pour redevenir le partenaire incontournable des négociations qui s’y déroulent ?

François Zimeray : D’abord, l’Europe est le premier partenaire économique d’Israël. C’est l’un des premiers sponsors de l’Autorité Palestinienne. C’est le premier partenaire de recherche d’Israël. Donc, le lien avec l’Europe est vital pour Israël. C’est pour ça qu’il faut travailler à recoller les liens par Med Bridge. Mais ce que devrait cesser l’Europe, c’est d’être un juge. Elle devrait être tout simplement un guide équitable entre israéliens et palestiniens.

Quand on condamne l’un, on devrait être capable de condamner l’autre également. Elle doit aider les palestiniens, j’insiste là-dessus, dans leur développement tout en étant très exigeant avec son leadership et en conditionnant son aide pour que cette aide n’aille pas dans le sens du terrorisme ou de la corruption, mais pour qu’au contraire, la contrepartie de cette aide soit la table des négociations et revenir aux discussions avec les israéliens.

Elle doit favoriser l’émergence d’un nouveau leadership palestinien démocratique, moderne, tourné vers le futur. Ca devrait être une bonne politique européenne. De plus, elle doit comprendre les réalités d’Israël et protéger Israël car l’Europe a une responsabilité vis-à-vis de ce pays.

Primo Europe : En Octobre dernier, répondant à l’invitation de l’association Med Bridge, vous animiez un voyage en Israël et en Jordanie, en compagnie de 160 députés européens. Quelles en ont été les retombées ?

François Zimeray : Hier, à Strasbourg, je voyais des députés qui me disaient : « Quand y retourne-t-on ? ». Et, bien entendu, ils espèrent une suite. Même les diplomates israéliens me disent qu’il y a des personnes dont la position a évolué grâce à ce voyage.

Primo Europe : Pouvez-vous nous dire un mot sur votre sentiment à propos des derniers développements sur la situation au Proche-Orient, notamment au sujet des éliminations ciblées de chefs terroristes ?

François Zimeray : Pas de regrets pour Rantissi, pas de regrets pour Cheikh Yassine. J’ai peut-être été le seul responsable politique à dire que c’était des salauds, que la responsabilité d’une démocratie vis-à-vis des terroristes est de les pourchasser, de les atteindre et de les abattre. Je ne peux pas être plus clair.

Primo Europe : Et sur la guerre en Irak ?

François Zimeray : Moi, j’étais pour l’intervention américaine en Irak mais je trouve qu’ils s’y sont scandaleusement mal pris. L’aide, la préparation de la relève, la connaissance du terrain ont été insuffisantes.

Primo Europe : Selon vous, a-t-il manqué un plan Marshall ?

François Zimeray : Il a manqué surtout une meilleure préparation, une meilleure sensibilité à ce que veulent, et ce que sont les irakiens. Je constate les faits et, je le répète, j’étais pour l’intervention.

Primo Europe : Avez-vous un dernier mot à ajouter ?

François Zimeray : Je suis déterminé à me battre, je vais continuer à agir. Je le ferai comme avocat d’abord. Je serai toujours là pour défendre ces causes. Je le ferai dans le cadre de Med Bridge et du cercle Léon Blum. Peut-être qu’un jour, je reviendrai au parlement Européen.

Je vais citer François Mitterrand qui disait « On ne peut rien contre la volonté d’un homme. »

Primo Europe : François Zimeray, merci beaucoup de nous avoir accordé cette interview.

* Pascal Boniface avait été, avant le scrutin présidentiel de 2002, l’auteur d’une note interne au PS, préconisant la prise en compte de la démographie musulmane en France. Cette prise en compte devant déboucher sur un positionnement du PS par rapport au conflit Proche Oriental.

(nos remerciements à Joelle Chemla pour la transcription)



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