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Vous avez dit « guerre », monsieur Kouchner, vous n’avez pas tort...
Par André Glucksmann, philosophe. | Le Figaro
Article mis en ligne le 25 septembre 2007

Un mot suffit pour soulever la tempête. Immédiatement les encriers des commentateurs entrent en ébullition et les chancelleries d’Europe occidentale publient leur désapprobation d’une façon fort peu diplomatique. En évoquant le risque de guerre qu’implique la volonté iranienne de construire la bombe, et la nécessité de s’y préparer afin de l’empêcher, Bernard Kouchner aurait-il commis un blasphème témoignant de sa naïveté et de son manque de métier ?

Il fut illico chapitré par ses collègues, Sergueï Lavrov à Moscou ou D’Alema à Rome (« Non si debba parlare de guerra in questo momento »). Idem à Berlin mezza voce. Pourtant il faudra s’y faire, la « bourde », en apparence intempestive du French Doctor, nouveau chef de la diplomatie française, exprime une opinion méditée de longue date.

Lorsque, neuf mois avant l’élection présidentielle, j’interviewais, en compagnie de Yasmina Reza et Pascal Bruckner, le candidat Sarkozy sur les grands axes de la politique étrangère qu’il entendait conduire, sa réponse fusa claire et décidée : « La crise iranienne est sans doute la crise internationale la plus grave actuellement. »

Un an après, le diagnostic est encore plus exact. Que requiert cette gravité ? La « fermeté », répondait le futur président, qui visiblement n’a pas changé d’avis. Devant les ambassadeurs de France, réunis le 27 août 2007 à l’Élysée, il évoqua la terrible menace et souligna la nécessité « d’échapper à une alternative catastrophique : la bombe iranienne ou le bombardement de l’Iran ».

La « fermeté », nouvelle, de la France commence par une réforme du vocabulaire, elle rejette les euphémismes et les tabous linguistiques : si risque de guerre il y a, il ne faut pas le scotomiser, mais au contraire le nommer, en parler distinctement afin justement de tout faire pour stopper l’escalade, avant « l’alternative catastrophique ».

Le moment est bien calculé, Bernard Kouchner jette son pavé dans la mare des non-dits diplomatiques et prononce le mot « guerre » à la veille de son voyage à Moscou. Le destinataire n° 1 du message est son homologue russe qui proteste, mais enregistre : si Moscou continue à bloquer toute sanction effective, susceptible d’appuyer les remontrances jusqu’alors platoniques du Conseil de sécurité, la France s’emploiera, hors Conseil, à mobiliser l’Union européenne qui draine plus de 50 % du commerce extérieur de Téhéran.

À charge pour des sanctions économiques dures de tenter de bloquer la spirale nucléaire iranienne. Bref, Bernard Kouchner convie les Européens à passer outre aux manoeuvres dilatoires de Moscou à l’ONU.

Lorsque le sage désigne la lune, les imbéciles contemplent son doigt. Lorsque Kouchner parle de « guerre », nombre d’Européens estiment qu’il s’agit d’un gros mot lâché tel un coup de pistolet dans l’atmosphère feutrée des négociations respectueuses.

La révélation de l’effort clandestin et illégal de l’Iran pour franchir le seuil du nucléaire militaire date d’août 2002. Depuis, malgré toutes les confirmations de l’AIEA, les négociations, menées principalement par Londres, Paris et Berlin, n’ont abouti à rien.

Il est temps de peser franchement les risques. Y a-t-il péril en la demeure ? Tous les experts s’accordent sur la capacité technique de l’industrie iranienne : deux ou quatre ans suffisent pour atteindre le point de non-retour. Donc le temps presse. Mais la perspective d’un Iran nucléaire suffit-elle pour que de toute urgence les démocraties se mobilisent et interdisent, bon gré, mal gré, le franchissement du seuil ultime ? Ou bien faut-il considérer avec Jacques Chirac (janvier 2007) qu’une puissance militaire nucléaire de plus ou de moins ne mérite pas qu’on se mette martel en tête ?

Certes, la guerre froide est restée froide au sommet : 45 ans durant, la dissuasion a bloqué l’escalade belliqueuse entre les deux blocs. Pareil équilibre de la terreur n’avait pourtant rien d’automatique. Les crises ont succédé aux crises jusqu’à celle de Cuba (1961) où, témoignent les archives américaines et russes, tout se joua au bord du gouffre et manqua échapper à la prudence de Kennedy et Khrouchtchev.

L’idée que la bombe iranienne serait sans conséquence pour la paix du monde relève de la plus ignare des fantasmagories, d’autant que l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Égypte n’entendent pas subir l’hégémonie nucléaire iranienne sans, à leur tour, transgresser le traité de non-prolifération (TNP). Attention aux dégâts !

Dans le mouchoir de poche d’un Proche-Orient aux frontières mal définies, aux entrelacs communautaires, aux enjeux théologico-pétroliers énormes, une guerre civile nucléaire devient l’horizon que dessinent, fût-ce à leur insu, les bricoleurs de Téhéran.

Le pot au noir irakien n’aura-t-il rien appris à personne ? On croit savoir ce qu’on dit en parlant de « guérilla, » « vietnamisation », etc. On se trompe. La guérilla espagnole contre Napoléon, les résistances antihitlériennes, les insurrections anticoloniales visaient en premier une armée étrangère, en deuxième lieu les « collaborateurs » et, à l’occasion, la population afin de la mobiliser par l’intimidation.

L’ordre des cibles s’inverse en Irak. Les GI’s ne sont pas prioritaires : ils ont perdu 3 700 des leurs en quatre ans. Alors que dans les mois « chauds » on dénombre 3 000 victimes irakiennes, femmes et enfants d’abord, explosées non par les Américains, mais par la soi-disant « guérilla. » Si les Américains sont désemparés, c’est qu’ils affrontent un adversaire capable de tuer les siens à l’infini - plus j’en tue, plus tu perds. Impossible de protéger chaque Irakien contre ce terrorisme indiscriminé. Le chaos est plus fort que les hélicos, les tanks et le fric. On connaissait, en Russie, les stratégies de la « terre brûlée » qui firent le vide devant l’envahisseur.
 

Aujourd’hui des incendiaires homicides et suicidaires inaugurent la stratégie implacable de la population brûlée. Il ne s’agit pas d’une résistance à l’occupant, pas même d’une guerre civile, mais plus diaboliquement d’une guerre absolue contre les civils.
 
Rien là qui doive émouvoir nos mollahs iraniens, lesquels se déclarèrent, par la bouche du « modéré » Rafsandjani, prêts à la vitrification de 15 millions des leurs pour la gloire théologique d’avoir éradiqué l’entité sioniste, préliminaire obligé d’une chasse universelle aux croisés et aux infidèles.

Le sacrifice des siens et de soi, l’autodestruction systématique d’un peuple jusqu’à épuisement des fureurs obsidionales n’est nullement une pathologie inédite. Les cruautés collectives qui horrifièrent Montaigne, le sang, la dévastation et la mort que peignit Grimmelhausen rappellent que ces pestes sont européennes. Mais aucun des furieux ne disposait encore de nos joujoux atomiques.



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