Une incroyable opération publicitaire autant qu’idéologique est en train de se déployer en France depuis deux à trois semaines. Elle a pour cible l’opinion publique globale et pour vecteur les Juifs et plus spécialement les Sépharades, pardon : les "Arabes juifs". Son ampleur se mesure à son caractère transatlantique, à son déploiement éditorial et audio-visuel, autant qu’à ses supports et ses sponsors.
Réunir
le film et le livre ne se justifie pas uniquement en fonction de leur
lancement
coordonné mais parce qu'on retrouve mentionné (remercié) dans le
générique du
film Jean Mouttapa, l'éditeur du livre (et, en fait, son véritable
artisan car
ce domaine de l'histoire ne ressortit pas du domaine académique des
deux directeurs
de l'ouvrage) et parce que, parmi les interviewés du film, on retrouve
l'un d'entre
eux, Abdelwahab Meddeb et certains de ses contributeurs. De surcroît,
la
publicité pour les deux produits est faite
en
simultané aux Etats Unis et ils sont vendus ensemble sur Amazon.fr[3].
Le scenario
A
considérer le contenu
du message (je ne traiterai dans ce cadre que du film),
le projet
est clair. Sous l'intention affichée de rapprocher Juifs et Arabes, "si
proches, si loin", à égale distance des "cinglés" juifs et
musulmans, comme l'a déclaré Meddeb[4]
à
propos du livre, il s'agit surtout de
promouvoir la cause et l'image de l'islam et du monde arabe par le
biais de
leur rapport aux Juifs, dont on sait aujourd'hui, en France, surtout
depuis
l'affaire Merah, qu'il est empreint d'hostilité.
Le
scénario de la série télévisée est simple.
Il s'agit
de créer une connivence entre Juifs et
Arabes, par
opposition à l'hostilité d'un Tiers multiforme: l'Europe chrétienne,
l'Occident, les Juifs occidentaux (rendus coupables d'avoir
désolidarisé les
Juifs de leurs "frères" arabes), et bien évidemment - en apothéose -
les sionistes et l'Etat d'Israël. Cette connivence est
obtenue en oblitérant complètement la mémoire et la voix des Juifs du
monde
arabe et en réécrivant de façon ethnocentriste et paternaliste (la
fameuse
"tolérance") leur histoire. Les "experts"
interviewés ne sont pas tous représentatifs. Une
bonne
partie d'entre eux sont des antisionistes avérés. Certains se
sont
égarés dans une telle entreprise à moins que leur témoignage ait été
sélectivement découpé pour leur faire dire ce
que le
cinéaste voulait entendre. Il faudrait ajouter aussi que la voix des
Arabes,
elle même, a été "normalisée" car, si l'on remarque bien, tous les
"experts" musulmans interrogés vivent en Europe et en Amérique, mais ni
au Proche Orient ni en Afrique du Nord: certains sont pakistanais ou
indiens,
ce qui implique une tout autre expérience historique. Le discours
apologétique
de tels témoins s'explique alors avec évidence: ils défendent leur
image dans
un Occident confronté au Djihad mondial, ce qui n'est pas le cas de
leurs
correspondants vivant dans le monde arabe et dont les discours hostiles
aux
Juifs sont quotidiennement audibles par les musulmans de France et
d'Europe via
les télévisions satellitaires (voir les sites Memri TV ou Palestinian
Media
Watch).
Il n'y a pas
d'antisémitisme en terres d'islam
L'argument
central du film consiste bien sûr à affirmer que l'antisémitisme est
inconnu en
islam mais qu'il est une tare endémique à l'Occident qui a fini par
l'influencer
à la faveur de la domination coloniale et de "l'invasion" de la
Palestine qui ont heurté un nationalisme arabe qui avait pourtant,
dit-on, fait
une place aux non-musulmans, et donc aux Juifs, dans ses rangs. En
fait, le
film revient plusieurs fois (cf. la deuxième séquence sur les croisades
et la
troisième sur l'émancipation des Juifs d'Algérie) sur l'idée que les
musulmans
ont été victimes en même temps que les Juifs des œuvres de l'Occident.
"L'autre" de l'Occident est d'abord
portraituré sous les traits de l'islam (titre de la deuxième séquence
portant
sur les croisades) puis des Juifs (à travers la description de
l'antisémitisme européen).
Le sionisme n'existe, par ailleurs, que dans son articulation avec
l'antisémitisme car il ne correspond à rien
dans la
religion et le messianisme juifs et ne représente rien pour les "Arabes
juifs".
Au moins
à deux reprises, on nous dit que ce qui est
tenu pour un
pogrom en Occident n'en est pas un
dans le monde arabe. Les pogroms y sont des conflits "inter- ethniques
": "inter- tribaux " du temps de Mahomet, qui passe tout de même
au fil de l'épée toute la population masculine juive d'une oasis de la
péninsule
arabique (sous le coup de jugement d'un médiateur agréé par les Juifs,
nous dit
on, comme pour montrer qu'il y a eu un assentiment juif à ce massacre).
Ils
sont aussi " nationalistes" quand il s'agit
des pogroms de 1929 dans la Palestine mandataire. Les Juifs occidentaux
seraient
en fait coupables de cette méprise, qui les ont confondus avec les
pogroms de
la Russie tsariste et ont envenimé les
choses en en
faisant une cause juive (pronant l'identification aux Juifs
palestiniens). D'alleurs,
nous dit Michel Abitbol il y avait un
"racisme
ashkénaze" envers les Arabes juifs.... Le subterfuge atteint cependant un comble quand les pogroms de 1929, lancés par
le mufti de
Jérusalem qui allait devenir un dignitaire du IIIème Reich, sont
présentés comme
la plus "grande révolte anticoloniale" qui ait jamais existé dans
l'Empire britannique. Le déni de la réalité peut cependant être pire quand la condition avilisante et ségréguée
des dhimmi
est définie comme un "traité" passé avec les "conquérants"
(un terme d'une histoire qui ne peut être écrite que par les maîtres et
pas les
vaincus aux yeux desquels les "conquérants" ne sont que des
"envahisseurs" qui les dépossèdent et réduisent en servage).
La technique
argumentative
Le
modèle argumentaire est à la fois
apologétique et un
brin auto-critique: il instille une dose de critique de l'islam dans
son
rapport aux Juifs tout en l'excusant systématiquement. La méthode est en règle générale la même: on fait précéder
chaque
occurence d'un fait historique génant pour l'argument d'une supposée
faute ou
d'une pseudo-responsabilité des Juifs à moins que ce ne soit celle de
l'Occident et du colonialisme. Ainsi la politique antijuive de l'islam
à ses
origines n'aurait été que sa réaction à l'inimitié tribale, "naturelle"
à l'époque, des Juifs, de même que le
progrom de
Cordoue (4000 morts) serait dû à des fanatiques mais pas à l'islam, et
que
l'antisémitisme contemporain serait la réaction au colonialisme et à
l'invasion
juive de la Palestine sous l'effet du sionisme ("un autre peuple cède
sa
place"...), etc. Le film, accuse le coup des faits trop voyants qui, si
ils n'étaient pas assumés, affaibliraient
l'apologie de
l'islam et celle d'un judaïsme pensé comme son reflet ("l'influence de
l'islam sur la religion juive"). C'est comme dans les familles susurre
le
commentaire: il y a des hauts et des bas ...
De quels Juifs
parle-t-on?
On peut
"s'amuser" à déceler le profil des Juifs que le
film trace en pointillés. Il résonne d'une
formule qui résume tout :
"Les Juifs sont des Arabes comme les autres", ce à quoi fait écho un
professeur de l'Université Hébraïque qui affirme que "les Juifs sont
des
Arabes de religion juive". On y entend aussi l'expression d'"Arabes
juifs et musulmans", qui n'a auccun sens à moins qu'un pays où
vivraient
des Juifs se soit appelé "Arabie" (il existe un tel pays qui se
qualifie
aujourd'hui de "saoudite" et il est, de par sa constitution (et les
directives du Coran)
interdit aux Juifs). Ce
vocabulaire destiné à suggérer une promiscuité ne constitue pas
seulement un déni de l'histoire juive. C'est aussi
une défaillance sur le plan du savoir. "Arabe"
désigne
en effet une origine ethnique; "musulman", une religion à laquelle
émargent aussi des non-Arabes, comme les Turcs ou les Indiens par
exemple (sauf
pour les journalistes qui firent des "musulmans" bosniaques une
nationalité). Il est vrai que le
fait que le
Coran incréé soit en arabe attache l'islam à l'arabité. "Arabe" peut
aussi
désigner une cause politique et idéologique
(le
panarabisme des nationalistes arabes). Hier, les Juifs étaient tout simplement
"arabophones",
inscrits objectivement dans l'ère culturelle où ils étaient néanmoins
marginalisés,
de rang secondaire même au plus haut de leur créativité culturelle. Ils
ne sont
quasiment plus arabophones aujourd'hui: cette ère de leur histoire
s'est
définitivement éteinte comme beaucoup d'autres depuis 30 siècles.
Cette
manipulation terminologique implique une affirmation sous-jacente: il n'y a pas de peuple juif. Il y a des Arabes
juifs d'un
côté, et des Ashkénazes occidentaux,
sionistes, d'un
autre côté (qui semblent n'exister que par rapport à l'antisémitisme)
qui sont venus
troubler la tolérance, la symbiose et l'universalisme de l'islam[5].
C'est le thème des deux derniers épisodes.
Exit l'histoire
juive au profit d'une histoire écrite dans la perspective d'un
ethnocentrisme
arabo-musulman.
Les finalités
politiques
On se
perd en conjectures sur la finalité sociale et
politique que l'opération, lancée par ce film, poursuit. La
base économique d'une entreprise de telle ampleur, en période de
crise, nous renseigne déjà sur la façon dont elle a été "vendue" aux
financiers et donc sur son intention
profonde. Parmi
les sponsors déclarés de la série télévisée, on trouve "l'Alliance des
civilisations", c'est à dire l'Organisation de la coopération islamique
qui se donne pour tâche de changer le discours de l'Occident sur le
monde
arabo-musulman en intervenant dans sa culture par le biais
d'entreprises
culturelles. Toute sa communication se fonde sur "l'Espagne des trois
religions", "l'âge d'or andalou", sous l'égide de la tolérance
islamique[6]
que ce modèle célèbre évidemment. La subvention de l'Agence Nationale
pour la
Cohésion Sociale et l'Egalité des chances
(ACSE-images
de la diversité) qui milite "pour faire
évoluer
les images stéréotypées dont peuvent être victimes les habitants des
quartiers"[7],
est
significative.
Certaines
subventions sont plus étonnantes et
inattendues comme
celles qui viennent de régions françaises:
Bretagne, Ile-de-France, Nord Pas de Calais... Serait-ce que le
rapport
judéo-musulman soit si important à la République
qu'elle
investisse dans une semblable opération idéologique au service d'une
cause
qui ne devrait pas être la sienne? Pour lutter contre l'antisémitisme? Ou plutôt l'islamophobie? Retrouver Rue
89, France Info, Le Nouvel Obs,
parmi les sponsors ou les
parrains, par contre, n'est pas pour nous étonner. Ce sont des médias à
la
pointe du discours politiquement correct et
qui
pratiquent couramment le "Jews (Israel) bashing[8]".
Les
concepts et les mots valises employés pour qualifier le côté négatif du
rapport
judéo-arabe ("inter-quelque chose" afin de diviser la responsabilité
et accuser aussi les Juifs de l'antisémitisme qu'ils subissent) rappellent irrésistiblement
les circonlocutions employées par les médias pour faire écran au
constat de
l'antisémitisme arabo-musulman en France, ces dernières années: les
"tensions inter-communautaires"...
Le message
français
Le film
cible, en fait, directement la France en faisant, dans toute sa
deuxième partie, des Juifs d'Algérie (disparus depuis 50 ans!) le fil
rouge de
de toute cette opération politico-idéologique. Il fournit même
l'aboutissement
de la série télévisée avec une scène finale qui se déroule dans le
métro
parisien où sont assis côté à côte une Algérienne (une femme bien sûr[9]!)
et un Juif qui s'ignorent, sur arrière fond d'un commentaire qui les
appelle à
se reconnaître par delà leurs "prisons identitaires" (tiens, du Jean
Daniel!) respectives, eux, les "indigènes", que le colon français
avait séparés et divisés. Cette
prison est cloturée
d'un côté, par le "nationalisme arabe" (on se demande de quel
fantôme du passé on parle là, car il y a belle lurette que l'islamisme
et le
djihad mondial lui ont succédé), et de l'autre par "le sionisme",
deux "prisons identitaires" génératrices de "replis
communautaires".
Il y a
là un un argument d'une violence infinie,
qui cherche
peut être à compenser un ressentiment (supposé) des double-nationaux
Franco-algériens,
immigrés en France après l'indépendance de l'Algérie. Pourquoi, en
effet,
rappeler les "Juifs d'Algérie" qui n'existent plus depuis 50 ans si
ce n'est pour les rétrograder symboliquement, en les assimilant aux
"Algériens" (qu'ils auraient bien eu du mal à avoir été puisque
l'"Algérie" n'existait pas avant la conquête française) alors qu'ils
étaient devenus des Français, une fois libérés de la ségrégation
découlant
des
lois de la dhimmitude. En
choisissant comme critère de référence les Juifs d'Algérie, on rappelle
ainsi
aux nouveaux citoyens Français d'origine algérienne qu'ils sont
maintenant
autant français que les "Juifs d'Algérie", comme pour leur montrer
que les Juifs ne leur sont pas préférés. Pour ce
faire, on annule symboliquement 144 ans d'histoire. Les Juifs d'Algérie
deviennent
alors aujourd'hui autant "immigrés" que les Algériens... C'est une forme de dénationalisation.
Le
"communautarisme" de ceux-ci serait aussi dangereux que le
communautarisme de ceux-là, semble-t-on nous dire, et la société
française
attendrait des "deux communautés" (selon l'expression sournoise de
Mitterand) qu'elles se réconcilient pour que règne la paix civile en
France
plus spécialement et plus largement en Europe parce que leur hostilité
"réciproque"[10]
met en danger la société française et européenne. On comprend alors
mieux la
manœuvre que nous analysons et pourquoi des
régions
françaises ont cru devoir contribuer à ce financement. On attend tout
spécialement des Juifs d'Algérie qu'ils jouent ce rôle, sans doute
parce que,
par leur passé, en devenant français alors que les Arabes restaient des
indigènes, ils ont suscité jalousie et concurrence chez eux. En
s'affirmant
toujours juifs (c'est à dire, en traduction politiquement correcte,
"communautaristes") - ce qui se vérifie à leur "sionisme" -
et par le privilège dont ils auraient bénéficié du fait du colonialisme
et des
Israélites (Crémieux) français, ils seraient comme la marque vivante du
colonialisme en France, le vestige de cette dissociation coloniale dans
une
société française contemporaine où se retrouve en citoyenne une
population
musulmane, celle là même qui fut écartée de la citoyenneté en Algérie.
De là à
penser qu'ils seraient les fourriers du communautarisme (musulman cette
fois-ci), il n'y a qu'un pas que d'aucuns
franchissent.
Conseil est ainsi donné aux Juifs de se désolidariser d'Israël, leur
"prison identitaire" qui les oppose aux "nationalistes
arabes", pour vivre en paix en Europe, en s'éloignant de ce "conflit
importé" (comme disent les journalistes) et pas du tout
"français".
Le message
européen
Le film
met en scène quelque chose de nouveau: le discours d'une identité
arabo-musulmane européenne, qui n'a renoncé en rien à ses fondamentaux
(islam, cause
palestinienne) quoique se distinguant des excès actuels du monde arabe,
et qui,
pour ce besoin, réécrit l'histoire des Juifs - et des Sépharades parmi
eux -, à
moins qu'il ne s'agisse du discours identificatoire que l'Union
Europénne
voudrait souffler aux musulmans européens (chaîne "européenne" Arte
oblige!). Cette dernière éventualité serait tout de même très grave car
elle
montrerait que l'Europe sacrifie les Juifs dans l'ordre symbolique pour
installer l'identité musulmane qu'elle souhaite voire se constituer.
Cette
possibilité est tout à fait plausible car on découvre, à la lumière des
résolutions du Parlement européen sur la circoncision ou l'abattage
cachère,
que l'U.E. est en train de développer une
doctrine de
la condition juive, qu'elle lie à la condition musulmane. Sa
politique à l'égard d'ISraël - question symbolique de la plus haute
importance
- s'éclaire d'autant mieux.
Cette
ré-écriture de l'histoire des Juifs - et des Sépharades parmi eux -
pour les
besoins d'une apologie de l'islam ou d'une "paix civile" en Europe,
dénie bien évidement la notion même d'histoire juive et méconnait le
témoignage
des Sépharades encore vivants qui ont connu l'exclusion massive de 10
pays
arabes durant la deuxième moitié du siècle dernier. De ce
point de vue[11],
comme du point de vue de leur histoire passée[12],
ce
film pratique purement et simplement une nouvelle forme de
négationnisme.
On reste
toutefois confondu de voir que les pouvoirs publics (les régions)
s'engagent
dans une telle entreprise idéologique unidimensionnelle, sous son
vernis pseudo-conciliant
et "multiculturel", qui blessent la mémoire d'une autre partie de la
société française, pas moins respectable, et qui pour ce faire n'hésite
pas,
par ailleurs, à s'en prendre à l'Europe, au christianisme, à la France
elle
même, ou à faire l'apologie de la "convivance", d'un système qui est
le contraire de la laïcité.
Abdelwahab
Meddeb, qu'on a vu sur Public Sénat
faire l'apologie de la dhimma en la comparant au statut des Juifs en
Europe
pré-moderne[13],
a beau jeu de reconnaître qu'elle serait inacceptable, à la lumière du
concept
d'égalité moderne. Et heureusement qu'il le fait, mais alors qu'en
est-il de
l'apologie qu'il fait du modèle culturel de "Bagdad" ou de "Cordoue"
comme d'une leçon pour aujourd'hui, pour l'Europe actuelle? Les
chrétiens et les Juifs y étaient des
dhimmis, sous la tutelle de
l'islam. Et la culture qui en est sortie,
qui ne
concernait qu'une infime minorité de privilégiés, ne change en rien ce
qui fut
le destin de la grande masse. Elle est de
toutes
façons caduque, médiévale. Aujourd'hui, nous ne voulons pas de ce modèle: à la "convivance"[14]
sous tutelle religieuse ou à l'ombre des religions, nous préférons
résolument
la citoyenneté de la laïcité. Au "vivre ensemble",
slogan typique de l'Union Européenne, nous préférons "l'être
ensemble" qui devrait être celui de la République.
Devant
le matraquage médiatique très puissant orchestré par cette opération,
on ne
peut, en tant que Juifs, que ressentir combien c'est notre mémoire
qu'on nous
dérobe et qu'on étouffe sous la chappe de plomb de l'histoire racontée
dans le
discours du "maître". Ce n'est pas comme cela qu'on rapprochera les
Arabes et les Juifs. Le Psaume 22 nous
revient à
l'esprit: "ma langue est collée à
mon palais. Tu m'étends dans la poussière de la
mort.
Je pourrai compter tous mes os, eux, ils me
toisent et
se repaissent de ma vue... ils se partagent mes habits, ils tirent au
sort mes
vêtements" (14-19).
ANNEXE
Les Juifs
d'Algérie
Le
témoignage des Juifs d'Algérie a été totalement ignoré dans ce
film. Le fait que leurs ancêtres avaient choisi très rapidement et massivement, de façon très consciente, la
France apporte
la preuve de l'inanité de son argument. Les Juifs n'étaient tout
d'abord pas
des "indigènes" semblables aux autres. Ils ne se considéraient
certainement pas comme tels du fait de leur identité judaïque (cf. la
conscience de l'exil, encore plus pour les Juifs originaires
d'Espagne), et,
surtout, ils n'étaient pas considérés comme tels par le régime
islamique de
l'empire ottoman qui les tenait à distance dans une condition de
ségrégation
pas seulement spatiale (le mellah est un ghetto où la sortie et
l'entrée sont
soumises à des règles) mais aussi dans les mœurs (habits, signes
distinctifs
(c'est l'islam qui a inventé, la rouelle jaune, ancêtre de l'étoile
jaune), et
jusqu'au type de chaussure, talon nu obligatoire), et dans la vie
sociale (dépendance
d'un tuteur, d'un patron (signe de leur "minorité" juridique et
politique), invalidation de leur témoignage face à une accusation
musulmane,
etc)[15].
Les
Juifs avant l'ère coloniale[16]
constituaient en effet une communauté ségréguée dans une société
adverse et hostile, en proie à des
vexations et des violences
permanentes. Ceux qui le pouvaient financièrement achetaient les
sauf-conduits
que leur vendaient les consulats européens (selon le système des
"capitulations" des
"Echelles du levant" que les Etats européens, depuis François 1er, avaient obtenues de
l'empire ottoman pour leurs ressortissants en voyage de commerce dans
ces pays
où le non musulman est d'office un "dhimmi", afin qu'ils échappent à
ce sort peu enviable). Le décret Crémieux fut une libération
extraordinaire pour
ces colonisés de l'intérieur du monde islamique que furent les Juifs
(et
ailleurs les chrétiens). Elle les ouvrit à une modernisation tout à
fait unique
et exceptionnelle par rapport à la modernité
juive
européenne. Pour comprendre celà, il faut
connaître l'histoire
pré-coloniale, depuis le Haut Moyen âge, il faut lire aussi l'hébreu[17].
De quoi
parle-t-on quand on parle des Juifs du monde arabe? De minorités arabes? Ou
d'une "nation captive"? La condition de dhimmi est celle des vaincus (chrétiens et Juifs) du
djihad. Elle
leur confère un statut inégal. Par la
force, ils sont dépossédés de leurs biens,
leur vie est en jeu: ils
doivent payer une rançon sur leurs têtes (djiziya)
et leurs terres (kharadj), avec le
maximum d'humiliation (recommandée par le Coran) pour éviter la mort.
La "protection",
un mot déjà politiquement correct dont tout
le monde
se gargarise aujourd'hui dans le malentendu le plus total, s'exerce en
fait
contre le sort dévolu aux non-musulmans par la Sharia, elle-même. Leur
soumission les protège du verdict de mort du nouveau pouvoir islamique et pas d'un quelconque ennemi extérieur. Si les
dhimmis se
soumettent, ce pouvoir fait alors exception
à la
dureté qu'il doit manifester envers les non-musulmans.
[1]
Un film
de Karim Miské, Emmanuel Blanchard, Nathalie Mars
[2] http://press.princeton.edu/titles/10098.html#TOC
A History of Jewish-Muslim Relations: From the Origins to the Present Day Edited by Abdelwahab Meddeb & Benjamin Stora.... Independently, but in a similar vein, an excellent documentary film has just been finished and premiered in Paris at the beginning of October (Juifs et Musulmans: si loin, si proches). The English version is called "Jews and Muslims: Intimate Strangers." Like the book, it covers Jewish history and cultural interaction in the Islamic world from the time of Muhammad to the present day. Here is the link to the North American distributor's website. Select History > World History > then the film title to see a 15 minute segment. I abide by the endorsement the distributor attached to the video., http://www.filmideas.com/. Ce qu'écrit, dans une newsletter, Mark Cohen (Princeton University) un des collaborateurs de cette entreprise.
[3]http://www.amazon.fr/Histoire-relations-entre-musulmans-origines/dp/222624851X/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1383463927&sr=8-1&keywords=relations+juifs+et+arabes
[4] Sur Public Sénat, dans l'émission "Bibliothèque Médicis", "Le diable et le bon Dieu" du samedi soir 2 novembre 2013, http://www.publicsenat.fr/emissions/bibliotheque-medicis/le-diable-et-le-bon-dieu/abdelwahab-meddeb,alain-rey,katell-berthelot/139045
[5]
Sur Public Sénat, dans l'émission "Bibliothèque
Médicis", Meddeb,
citant Hegel, affirme que l'islam est "l'universalisation du judaïsme,
du
particularisme juif ".
http://www.publicsenat.fr/emissions/bibliotheque-medicis/le-diable-et-le-bon-dieu/abdelwahab-meddeb,alain-rey,katell-berthelot/139045
[6]
Voir le
dossier important (et téléchargeable) que la revue Controverses
(9/2008) lui a consacré,
http://controverses.fr/Sommaires/sommaire9.htm
voir
aussi
les livres de Bat Ye'or qui en décrit, avec un regard autant critique
que
prophétique, les fondamentaux.
[7]http://www.lacse.fr/wps/portal/internet/acse/accueil/noschampsdaction/politiquedelaville/accesalaculture/lacommissionimagedeladiversite
[8]
Cette
expression amércaine est de plus en plus
usitée: ici
"taper sur les Juifs et Israël".
[9]
Réputée
victime et dominée de principe. remarquons
qu'elle est habillée à l'occidentale et ne porte pas de voile...
[10]
C'est
bien là le mensonge qui a accompagné le "nouvel antisémitisme", à
savoir qu'il n'y a pas là un antisémitisme mais une hostilité
réciproque dont
la victime est donc aussi coupable. Falsification de la réalité car les
Juifs
n'ont jamais agressé de musulman! Le fait que les musulmans soient
aussi
victimes d'un autre racisme n'exonère pas la responsabilité de ceux d'entre eux qui
témoignent d'antisémitisme.
[11]
Cf. S.
Trigano (ed) La fin du judaïsme en terres
d'islam, Denoël, 2009. L'exclusion
des Juifs des pays arabes (Pardès,
éditions In Press)
[12]
Cf.
Paul Fenton et David G. Littman, L'exil
au Maghreb, La condition juive dans l'islam (1148-1912) (Presses
Universitaires de Paris Sorbonne, 2010) qui publie la traduction de
documents
juifs, arabes, européens et, bien sûr, aux travaux sur la
"dhimmitude" de Bat Ye'or, une expression que n'hésite pas à
reprendre B. Stora[12]
et à d'autres ouvrages.
[13] Justement,
une comparaison serait très bien venue pour faire s'évanouir l'inanité
de
l'argument pseudo historique car la condition des Juifs y était
semblable à
celle qui prévalait en islam! En Europe centrale, autour de la Pologne,
il y a
cependant eu un quasi Etat juif, dans un
cadre féodal:
le "Conseil des 4 pays" durant deux siècles (1580-1764).
[14]
Un terme intéressant. C'est
de là que
vient le slogan "Vivre ensemble" qui est devenu un mot d'ordre des
pouvoirs publics et plus généralement de l'Union Européenne. C'est
exactement la traduction de convivencia.
Or, dans la laïcité, il ne s'agit pas de "vivre ensemble", c'est à
dire de se tolérer mutuellement dans la séparation et la méconnaissance
(la
ségrégation? Ce qui est le projet du
multiculturalisme) mais "d'être ensemble"!
[15]
Dans le
livre sous ma direction La fin du
judaïsme en terres d'islam, je publie une sélection des seuls
témoignages
que nous ayions de la période qui précède juste l'arrivée du pouvoir
colonial:
les rapports des émissaires de l'Alliance Israélite Universelle. Ils
tracent un portrait noir et terrifiant de
la condition des Juifs. Ce que confirment les
textes juifs locaux, eux mêmes.
[16]
Précisons à ce propos que l'Algérie comme les autres Etats arabes
n'existait
alors tout simplement pas, car ces territoires étaient déjà doublement
"colonisés" : la couche de l'invasion arabe
avait relégué aux catacombes les peuples premiers (Kabyles, Berbères,
Juifs,
chrétiens, etc), puis cette couche fut colonisée par l'empire ottoman,
turque,
c'est à dire non arabe quoique musulman. L'empire français se substitua
en fait
à un autre empire, ottoman.
[17]
Cf.
Paul Fenton et David G. Littman, op. cit.