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En enfer et sur un nuage
Alain Finkielkraut | Par Chantal Osterreicher - Jerusalem Post Edition française
Article mis en ligne le 24 mai 2007

Au sujet du mandat Sarkozy, Finkielkraut déclare : « Je pense que certaines des promesses seront tenues, notamment pour ce qui concerne l’augmentation du pouvoir d’achat, la libération du travail, la suppression de l’impôt sur les successions. D’autres promesses sont moins directement monnayables en réformes précises. »

  • Comment voyez-vous le mandat Sarkozy ?

Tout est possible. Je pense que certaines des promesses seront tenues, notamment pour ce qui concerne l’augmentation du pouvoir d’achat, la libération du travail, la suppression de l’impôt sur les successions. D’autres promesses sont moins directement monnayables en réformes précises.

Va-t-il être capable de refonder l’école ? Il a eu raison de dire qu’on ne peut plus envisager le problème de l’école en termes de moyens. D’abord on a mis trop de moyens dans le secondaire et on a ruiné le supérieur. Va-t-il être capable de réintroduire à l’école l’exigence d’excellence et des grands auteurs ? Va-t-il être capable de réintroduire pour une démocratie vraie la sélection ?

Je n’en sais rien. Deux choses m’inquiètent : c’est que ces promesses-là puissent être oubliées au profit de promesses plus directement parlantes.

Et la deuxième chose, c’est l’opposition qu’il risque de rencontrer dans la rue. Dès qu’on prononce le mot de sélection, les enfants envahissent les avenues. Et dès qu’on veut refonder l’école, ce sont les syndicats d’enseignants, et les fédérations de parents d’élèves, qui depuis trente ans au moins, ne raisonnent qu’en termes de moyens.

  • Est-ce que vous pensez qu’avec Nicolas Sarkozy l’image d’Israël peut s’améliorer en France ?

Non. Vous savez, il ne faut pas surestimer le pouvoir des hommes politiques, même présidents. Tous ceux qui disent par exemple qu’il va faire main basse sur la presse se racontent des histoires. La presse est majoritairement contre lui, et continuera à l’être. Il n’a aucun pouvoir médiatique. Il a des amis, il a donc quelques journaux qui lui sont favorables. Le Figaro, mais Le Figaro est favorable à la droite. Peut-être Europe 1. Mais tout le service public, notamment à la radio, lui est hostile. Libération lui est hostile. Marianne lui est hostile.

Il n’est pas tout puissant, la politique n’est pas toute puissante. Les amuseurs sont beaucoup plus puissants. Les journalistes sont plus puissants que les politiques et les amuseurs plus puissants que les journalistes. Et Sarkozy sera traîné dans la boue comme président sans aucun problème.

Donc il ne faut pas exagérer son pouvoir. Il ne faut pas exagérer non plus son influence, son autorité idéologique. Il va peut-être infléchir la politique étrangère française, il va peut-être essayer de rompre avec une certaine tradition du Quai d’Orsay. Je ne suis pas sûr qu’il y réussisse, les pesanteurs sont très fortes. Et quand bien même il y réussirait, ça ne changera pas nécessairement l’état d’esprit de l’opinion.

L’opinion peut évoluer et évolue en général en toute indépendance du pouvoir politique. Dans une certaine frange de l’opinion, la déligitimation d’Israël a fait d’immenses progrès et cette frange de l’opinion ne sera certainement pas influencée par Sarkozy. Elle risque de se radicaliser encore d’avantage. Mais ce n’est pas toute l’opinion non plus.

  • Puisqu’on parle de l’opinion, qu’est-ce qui a changé pour vous depuis la parution de l’interview dans le Haaretz il y a deux ans ?

Tout a changé. Il y a pour moi un avant Haaretz et un après. Dans les jours qui ont précédé cet entretien, je m’étais exprimé dans Le Figaro sur les émeutes avec une très grande clarté. J’avais déploré l’héroïsation ou la victimisation des émeutiers. J’avais parlé au nom de ce que j’appelle le parti de l’indignation. J’avais dit que l’incendie d’école n’avait aucune excuse et j’avais dit aussi que la seule manière d’aider ces jeunes, c’était de leur faire honte.

Mais, cet article je l’avais lu, relu, vérifié. Avec Haaretz, les choses se sont passées tout à fait différemment. Je n’ai rien pu relire ni préciser. Et donc, certaines formules m’ont fait apparaître comme un raciste, ce qui est, pour de très bonnes raisons, le crime intellectuel majeur, la tache ineffaçable. Et depuis lors, je sais que sur Internet toutes sortes de diatribes sont lancées contre moi.

J’ai aussi des problèmes dès que je mets le nez dehors, en tout cas dès que je fais une conférence. C’était le cas à Aix il y a un an, c’était le cas plus récemment à Bourg-la-Reine. Je faisais une conférence sur l’école, et j’ai eu droit à la protection de deux cars de CRS. Certes, la manifestation voulant m’interdire de parler n’a pas réuni les foules, c’était une centaine de vieux gauchistes, certains d’ailleurs avaient basculé dans le négationnisme, mais c’est quand même très désagréable, ces gens qui hurlent « Finkielkraut raciste », etc.

L’ironie c’est que ce coup me soit venu d’Israël. Israël, c’est à la fois le pays qui fait de moi un docteur honoris causa, et le pays où un petit cercle postsioniste veut ma peau. Je ne pense pas que les choses puissent vraiment se tasser, d’autant plus aujourd’hui que l’actualité n’est plus comme autrefois évanescente. On pouvait le regretter, se dire que l’actualité c’est un événement qui n’apparaît que pour sombrer dans l’oubli.

Maintenant, il apparaît, et puis il est inscrit pour l’éternité sur Internet. Je pense que cet entretien du Haaretz est disponible. Il n’est donc pas l’entretien d’un instant mais l’entretien de tous les instants. C’est le regret que je peux éprouver. C’est un des griefs multiples que je peux adresser à ce dispositif terrifiant qu’est Internet.

Je pense qu’au Haaretz, beaucoup de gens ont compris que cet entretien n’avait pas été très honnête, que c’était une sorte de traquenard, que les titres choisis et les sous-titres voulaient me faire apparaître comme une sorte de Le Pen juif, que mes interlocuteurs avaient vu en moi l’équivalent diasporique du colon israélien qu’ils détestent.

Donc j’ai été une victime de la radicalité progressiste. Je disais tout à l’heure que la radicalité n’est pas l’apanage de la religion. La radicalité progressiste fait de la politique mondiale une sorte de guerre civile. Et ceux qui s’inscrivent dans cette guerre civile, par exemple en Israël, ne voient pas l’ennemi dans l’islamisme qui les agresse mais chez l’extrémiste juif.

Et ils ont cru que j’en étais l’équivalent français. Tout le monde à Haaretz ne pense pas ainsi. Pour moi, vis-à-vis de Haaretz, j’ai tourné la page. Malheureusement, cette page Internet ne la tournera jamais.

  • Vous avez également reçu un fort soutien durant cette période.

Les témoignages de sympathie se sont multipliés. J’ai reçu des milliers de lettres ou des courriels, les gens m’abordaient dans la rue. D’autant que j’ai eu l’occasion quand même en France de m’expliquer très vite.

Le Monde a publié des extraits de mon entretien, des extraits terribles. Dès le surlendemain, Le Monde m’a permis de préciser un peu les choses. Donc le lynchage n’a pas été total. Le vrai lynchage médiatique c’est quelqu’un qu’on accuse et qui n’a pas la possibilité de se défendre. Ça a été en France le cas d’un écrivain, accusé à mes yeux à tort d’antisémitisme, Renaud Camus.

Ma situation était curieuse. J’étais en enfer et j’étais sur un nuage. J’ai bénéficié de ce soutien. Il n’empêche, j’ai parlé au détour d’une phrase de l’équipe de France de football, je ne veux même pas y revenir, et il y a des gens pour qui je n’existe et je n’existerai jamais que par cette phrase. Aucune de mes autres interventions et aucune de mes oeuvres ne compte. Je suis aussi la victime, et ça me rappelle un roman de Kundera, d’une plaisanterie. Je suis persécuté par une plaisanterie.

J’ai donc reçu de nombreuses lettres de soutien après avoir publié ma réponse dans Le Monde. Ce qui m’a plu, c’est qu’elles venaient souvent de gens de gauche. Pas uniquement de Juifs, mais souvent de gens de gauche. J’ai compris que la diabolisation avait ses limites. En revanche, j’ai eu droit à la couverture du Nouvel Observateur où je suis apparu comme le chef de file des néoréactionnaires.

Et d’ailleurs ils n’ont pas changé, ils ont refait une couverture du même type il y a quelques semaines pour dresser à nouveau la liste des intellectuels qui virent à droite. Et ça aussi c’est une des grandes tristesses de l’époque, cette gauche qui se raidit, qui oublie toutes les leçons de l’antitotalitarisme, qui pratique le soupçon et même l’épuration.

Une gauche épuratrice est à l’oeuvre, et est tellement épuratrice qu’elle se stérilise totalement. Et on en revient à la candidature Ségolène Royal. Parce qu’une fois qu’ils ont épuré, ils n’ont gardé que les crétins.

Si un candidat de droite a tenu sur l’école des propos qui m’allaient droit au coeur, ce n’est pas parce qu’il était de droite. C’est parce que la gauche avait complètement délaissé ce terrain. La gauche a choisi la voie de la facilité démocratique, du pédagogisme, de la démagogie sur un certain nombre de questions comme l’école, la sécurité et l’intégration.

Quand un candidat de droite fait référence à un certain nombre de grandes figures pour dire ce que représente pour lui la France, et qu’il remonte à Jeanne d’Arc en passant par Pascal, par Voltaire, et en terminant par Georges Mandel, Guy Moquet, etc., que répond la candidate de gauche ? Elle répond par une référence à la France de Diam’s. Diam’s est une chanteuse de rap, qui a écrit et chanté un texte : Ma France à moi.

Ma France à moi, dit-elle, elle sèche les cours, elle s’éclate, elle n’aime que la culture américaine, et comme elle n’a pas de débouchés, elle vend de la merde, c’est-à-dire du shit, de la drogue, à des bourges, c’est-à-dire des bourgeois. Voilà la France dont se réclame effrontément une candidate de gauche. Qu’est-ce que ça a à voir avec la gauche ?

Le candidat de droite a cité Jaurès. La gauche a dit : « c’est une captation d’héritage ». Non ! Car il ne citait pas Jaurès pour son socialisme, il citait Jaurès pour son patriotisme, pour sa manière d’habiter la France, pour son rapport au passé. De même qu’il citait Jules Ferry parce que celui-ci avait adressé à tous les enseignants de France une lettre commençant par ces mots : « Monsieur l’instituteur ».

Et ce candidat, Nicolas Sarkozy a dit : « cette formule, c’est la civilisation même ». Eh oui ! Monsieur l’instituteur, c’est une expression qui oblige à se tenir droit. Diam’s, c’est la civilisation du laisser-aller et de l’avachissement total. La gauche a choisi l’avachissement et elle a trahi, ce faisant, le meilleur de son héritage.


Cette interview a été réalisée en collaboration avec Hélène Schoumann.



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