Le sionisme musulman
parDaniel Pipes
New York Sun
6 juin 2006

Adaptation franaise: Alain Jean-Mairet

Le sionisme musulman serait-il plus puissant que le sionisme juif?

La question peut para”tre absurde, mais elle ne lÕest pas.

Le sionisme juif est issu de trois millŽnaires de passion constante pourJŽrusalem, une passion qui resta florissante malgrŽ lՎparpillement des Juifs,loin de leur ville sainte. Cet amour de Sion inspira le plus extraordinaire desmouvements nationalistes du XXe sicle, motivant des populations dissŽminŽesaux quatre coins du monde ˆ revenir dans leur ancienne patrie, ˆ raviver unelangue morte et ˆ crŽer un nouvel ƒtat – et ce contre une oppositionintense.

LÕhistoire du sionisme musulman, en revanche, est incertaine, erratique,basŽe sur lÕinstrumentalisationde la citŽ. Ė chaque fois que, depuis le VIIe sicle, JŽrusalem reprŽsentaun centre dÕintŽrt politique et religieux musulman, ce fut pour satisfaire desbesoins utilitaires. Lorsque JŽrusalem servait les ambitions thŽologiques oupolitiques musulmanes, la ville gagnait en estime et en charge Žmotionnelleparmi les Musulmans. Et lorsque cette utilitŽ disparaissait, lÕintŽrt musulmantombait aussit™t. Ce schŽma cyclique sÕest rŽpŽtŽ ˆ six reprises en quatorzesicles.

La premire occurrence en est relatŽe dans le Coran, qui indique queDieu ordonna ˆ Mahomet, en 622, de prier en direction de JŽrusalem, puis, 17mois plus tard, de prier de nouveau en direction de La Mecque. Les sourceslittŽraires arabes admettent que lÕintermde de JŽrusalem constituait unetentative avortŽe de convaincre les Juifs dÕadopter la nouvelle religionislamique.

Le mme principe utilitaire se retrouve ˆ lՏre moderne. LÕoubli danslequel les Ottomans laissrent JŽrusalem au XIXe sicle incita lՎcrivainfranais Gustave Flaubert ˆ la dŽcrire ainsi: Ēdes ruines partout, et partoutl'odeur des tombeaux. (É) La ville sainte de trois religions pourrit d'ennui,de dŽsertion et de nŽgligence.Č Les Arabes palestiniens ne redŽcouvrirentJŽrusalem quÕaprs sa conqute par les Britanniques, en 1917, et lÕutilisrentalors pour Žveiller la colre musulmane contre le pouvoir impŽrial. Mais cetintŽrt chuta ˆ nouveau aprs que les forces jordaniennes se soient emparŽes dela ville, en 1948.

Il ne se ranima quÕen 1967, lorsque la ville entire se retrouva souscontr™le israŽlien. La passion musulmane pour JŽrusalem monta en flche aucours des quatre dernires dŽcennies, au point que le sionisme musulman en vintˆ imiter fidlement le sionisme juif. Voici deux similaritŽs notables:

  ImpactŽmotionnel. Ehud Olmert, le premier ministreisraŽlien actuel, dŽclara en 1997 que JŽrusalem est Ēla plus pure expression detout ce pour quoi les Juifs prirent, rvrent, pleurrent et moururent durantles 2000 ans qui nous sŽparent de la destruction du second TempleČ. Yasser Arafat,de lÕAutoritŽ palestinienne, fit Žcho ˆ ces propos en 2000, clamant queJŽrusalem est Ēau plus profond de nos sentiments, des sentiments de notrepeuple et des sentiments de tous les Arabes, les Musulmans et les ChrŽtiensČ.

  CapitaleŽternelle. Le prŽsident israŽlien Weizman rappela aupape Jean-PaulII, alors en visite ˆ JŽrusalem, en mars 2000, que la ville restait la capitaleĒŽternelleČ dÕIsra‘l. Le lendemain, Arafat souhaita la bienvenue au souverainpontife Ēen Palestine et dans sa capitale Žternelle, JŽrusalemČ. De mme, lesleaders juifs et musulmans qui rencontrrent le pape parlrent de JŽrusalemcomme de leur capitale Žternelle.

En gŽnŽralisant cet aspect, lÕanalyste Khalid Dur‡n relevait en 1999 lÕexistencedÕĒune tentative dÕislamiser le sionisme (É) dans le sens que lÕimportance deJŽrusalem pour les Juifs et leur attachement pour la ville sont maintenant usurpŽspar les Musulmans palestiniensČ (il est intŽressant de noter que cetteŽvolution sÕinscrit dans une tendanceplus gŽnŽrale du nationalisme arabe palestinien ˆ imiter le nationalismejuif).

Cet effort porte ses fruits. Ainsi, ˆ mesure que les IsraŽliens la•quesse sentent de plus en plus indiffŽrents envers JŽrusalem, le sionisme musulmanse rŽvle plus fervent, Žmotionnellement et politiquement, que lÕoriginal juif.LÕexemple de la JournŽe de JŽrusalem est parlant ˆ cet Žgard.

La JournŽe de JŽrusalem dÕIsra‘l commŽmore lÕunification de la villesous son contr™le, en 1967. Mais, comme lՎcrit Israel Harel dans Haaretz, cette cŽlŽbration a passŽ du rang de fte nationale ˆ celui de simpleĒfte des communautŽs religieusesČ. En revanche, la version musulmane de laJournŽe de JŽrusalem – instituŽe onze ans plus tard, en 1979, parlÕayatollah Khomeiny – attire des foules de prs de 300 000personnes dans la lointaine TŽhŽran, o elle sert de plate-forme ˆ la diffusionde harangues passionnŽes et bŽnŽficie dÕun soutien sans cesse croissant dans lemonde musulman.

Un sondage de 2001 rŽvŽla que 60% des IsraŽliens seraient prts ˆaccepter la division de JŽrusalem; le mois dernier, le gouvernementOlmert annona son intention de partager la ville, sans soulever de tollŽgŽnŽral.

JÕen conclus donc que lÕusage musulman de Sion constitue actuellementune force plus vigoureuse que lÕamour juif de Sion.