parMer Waintrater
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Extrait de LĠArche nĦ 577, mai 2006
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Reproduction autorise sur internet avec les mentions ci-dessus
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Onpeut comprendre, de prime abord, pareilles rticences qualifier dĠantismiteun acte dont la victime est juive. NĠa-t-on pas connu, dans un pass rcent,des qualifications htives fondes sur une information partielle ou trompeuse?Ne faut-il pas viter de crier au loup, de crainte que le public refuse de ragirface un antismitisme avr? Aprs tout, les Juifs sont exposs aux mmesdangers que leurs concitoyens. Une agression, une insulte, une injusticefrappant un Juif ne sont ni plus ni moins condamnables que si elles avaientfrapp nĠimporte quelle autre personne. Pour tablir lĠexistence dĠuneintention spcifiquement antijuive, il faut des preuves solides.
Ladifficult, en fait, consiste naviguer entre deux cueils: dĠune part, lerecours automatique au mot ÇantismiteÈ ds quĠun Juif est mis en cause, etdĠautre part, la rduction de lĠantismitisme un contexte politique pr-dtermin.Or, si le premier cueil est aisment dfinissable, le second demeure trangementmconnu.
Nousavons entendu, dans la priode rcente, des personnes nier le caractre antismitedĠune agression contre un Juif au seul motif quĠil y manquait un soubassementidologique ou une structure organisationnelle. Peu importe que ces personnesaient eu raison ou pas dans un cas dĠespce. CĠest leur dmarche mme qui taitvicie. Et nul nĠa protest. Un peu comme si quelquĠun affirmait quĠil nĠy apas en France de racisme anti-noir parce quĠon nĠy trouve pas de membres du KuKlux Klan en cagoules blanches brlant des croix dans des jardins de banlieue.Mais non, sĠempresserait-on de lui dire, ce nĠest pas le costume qui fait leraciste, cĠest le fait de sĠen prendre des Noirs en tant que tels. videmment.Mais pourquoi ce qui est vident, sĠagissant des autres victimes du racisme,cesse-t-il de lĠtre ds quĠil est question des Juifs?
LĠantismitismeconsiste sĠen prendre des Juifs en tant que tels. Nul besoin dĠorganisationni dĠidologie. En cela, lĠombre porte du nazisme, qui a sans nul douterenforc la vigilance et la rsistance face aux formes immdiatementidentifiables de lĠantismitisme, a en mme temps contribu affaiblir lavigilance et la rsistance sur dĠautres fronts. Mesures lĠaune du nazisme,les expressions actuelles du prjug antijuif semblent forcment limites enampleur. Mais la haine des Juifs est bien antrieure au nazisme, et elle a prisdes formes trs diverses.
Hitlerserait devenu lĠhorizon indpassable de notre pense. Pas de croix gammes, pasde camps de la mort, pas dĠtoile jaune – pas dĠantismitisme. Alorsquoi, pas antismites, les pogromes russes? Pas antismites, les meutes deConstantine en 1934? Pas antismites, les procs de Prague et lĠaffaire des ÇblousesblanchesÈ? Pas antismites, les dchanements de Durban en 2001? Ne pas savoirreconnatre lĠantismitisme quand il se manifeste, ici et maintenant, est unefaiblesse non moins rprhensible – et potentiellement bien plusdangereuse – que celle qui consiste voir de lĠantismitisme partout.
Leproblme est que nous sommes tents, comme lĠivrogne de la fable, de cherchernotre cl sous le rverbre et non l o elle est vraiment tombe. Le rverbre,en lĠoccurrence, cĠest lĠextrme droite. Non quĠil manque dĠantismites au seinde lĠextrme droite: il y sont lgion. Cependant, la polarisation sur lĠantismitismedĠextrme droite fait que lĠon peut se donner bonne conscience en sanctionnantici ce quĠon tolre ou quĠon encourage l. Un exemple suffira clairer la chose.
Ily a une vingtaine dĠannes, Jean-Marie Le Pen, prsident du Front national, nonceen public une liste de journalistes ÇennemisÈ qui ont tous la particularit depasser, tort ou raison, pour juifs. Ë aucun moment, Jean-Marie Le Pen neprononce le mot ÇjuifÈ. Les tribunaux considreront pourtant – lĠaffaireira jusquĠen Cour de cassation – que le seul fait de dresser une telleliste implique une intention discriminatoire, et donc condamnable au regard dela loi.
Quelquesannes plus tard, Tariq Ramadan publie lui aussi une liste de Juifs, ou prsumstels. Pas oralement: par crit. Ë la diffrence de Jean-Marie Le Pen, il prcisequĠil sĠagit bien de Juifs, et que cĠest ce titre quĠil les singularise pourleur imputer un fantasmatique ÇcommunautarismeÈ. Non seulement Tariq Ramadan nesera pas tran en justice, mais certains pourfendeurs du Front national, quihier encore nĠavaient pas de mots assez svres pour fustiger la Çliste de LePenÈ, trouvent toutes les circonstances attnuantes la Çliste de RamadanÈ.
LĠhistoirene sĠarrte pas l. La Çjurisprudence RamadanÈ ayant annul, aux yeux dĠunepartie de lĠopinion et aussi, hlas, aux yeux des personnes charges depoursuivre pareilles infractions, la Çjurisprudence Le PenÈ, les listes de Juifs(ou prsums tels) ne cessent de se rpandre. Parfois avec le mot ÇjuifÈ,parfois avec des masques transparents comme ÇsionisteÈ, Çpro-isralienÈ ouencore Çno-conservateurÈ, et de plus en plus souvent sans aucun qualificatif,car le public que lĠon incite vouer ces gens-l aux gmonies nĠest pas moinsperspicace que celui qui Jean-Marie Le Pen sĠadressait il y a vingt ans.Dieudonn a us et abus de ce procd, mais il est loin dĠtre le seul. Surles sites internet ÇaltermondialistesÈ, il ne passe pas une semaine sansquĠapparaisse une liste de ce genre. En toute impunit.
SilĠon veut chercher un fondement ÇidologiqueÈ au regard que portaient sur lesJuifs les tortionnaires dĠIlan Halimi, on peut le trouver dans cette nbuleuse-l.Ou dans les morceaux de rap antismite qui se promnent, eux aussi, surinternet. Ou dans la diabolisation des Israliens dont Ariel Sharon servitlongtemps de prtexte, et qui par osmose sĠest mue en diabolisation des Juifs.Pour comprendre cela, il nĠest pas ncessaire dĠimaginer un complot antijuifqui serait lĠquivalent du complot judo-sioniste auquel certains croient durcomme fer. Il suffit de constater la migration des thmes, la contagion desvocabulaires et lĠinterchangeabilit des slogans.
LĠantismitisme,a-t-on dit, est un virus mutant. Thologique sous le nom dĠantijudasme,racialiste sous son appellation actuelle, il a pu prendre la forme dĠune dnonciationdu ÇcosmopolitismeÈ ou dĠune diatribe contre les Çassassins de prophtesÈ. Leplus sr moyen de ne pas reconnatre lĠantismitisme, cĠest de faire comme lesbien-pensants voqus plus haut: supposer quĠil nĠexisterait que sous la formeexacte o on lĠa dj rencontr.
LĠenlvementet lĠassassinat dĠIlan Halimi taient-ils des actes antismites? Pour seprononcer sur ce point au regard de la loi, il faut satisfaire des critresspcifiques. Les enquteurs et les juges dĠinstruction y travaillent en cemoment; ensuite sĠexprimeront les procureurs, les magistrats du sige, lesavocats et les jurs. Le jugement final, au sens judiciaire comme au sensintellectuel du terme, ne sera rendu quĠau terme de ce processus. Mais ilsemble, dĠores et dj, que la socit franaise, la socit tout entire, nepourra faire lĠconomie dĠune rflexion sur le climat dans lequel des petitsvoyous de banlieue ont pu tre amens croire quĠun Juif, parce que Juif, taitune meilleure cible quĠun autre Franais.
Cequi est en cause, ce nĠest pas seulement le mythe des Juifs Çriches et qui setiennent les coudesÈ, justification pseudo-rationnelle dĠun projet dĠenlvement.CĠest aussi lĠimage des Juifs, telle quĠelle est vhicule dans nos mdias travers des discours ÇantisionistesÈ: elle a pu instiller dans des espritsfaibles la pense quĠun jeune Juif tait une proie plus tentante, parce que nejouissant pas de la pleine protection que le corps social assure tous lescitoyens. Cette dlgitimation du Juif est lĠarrire-plan de lĠaffaire Halimi– comme de bien dĠautres affaires recenses au quotidien par les servicesde police et de gendarmerie mais qui, parce quĠelles nĠont pas connu la mmefin atroce, sont cantonnes dans les statistiques annuelles de la dlinquanceantismite. Croire que lĠon peut dire nĠimporte quoi des Juifs en tant quecollectivit, et ensuite sĠabsoudre de toute responsabilit dans les actesengendrs par ces discours, cĠest satisfaire sa conscience bon compte.
Entendons-nous.Il est permis de critiquer un individu juif, comme on critiquerait nĠimportequel autre individu. Il est permis de critiquer la politique de lĠtat dĠIsral,comme on critiquerait la politique de nĠimporte quel autre pays. Il est permisde critiquer la religion juive et la culture juive, comme on critiquerait touteautre religion et toute autre culture. Il est permis de critiquer desassociations juives, des livres juifs et des journaux juifs. Tout cela est nonseulement permis mais souhaitable, car qui voudrait tre entour de ce silencerespectueux quĠon rserve aux agonisants?
Lacritique, la polmique, la drision, nous comprenons tout cela. Nous lespratiquons aux dpens des autres, et nous comprenons quĠon les pratique nos dpens.Nous comprenons mme que lĠon dise de nous des choses fausses, car lĠerreur esthumaine. Ce quĠen revanche nous ne pouvons comprendre ni tolrer, cĠest quĠon rpandesur notre compte des mensonges honts qui sont autant dĠincitations lahaine. Un exemple me permettra de prciser ce propos.
Unjournaliste nomm Alain Mnargues publie un livre intitul Le Mur de Sharon. Unlivre de basse polmique anti-isralienne, mal fichu et truff dĠemprunts(dissimuls) divers auteurs au point dĠapparatre comme un agrgat deplagiats. Ce nĠest, dans ce genre, ni le premier ni le dernier. Mme le faitquĠune part des plagiats de M. Mnargues atteste de son intrt assidu pour despublications dĠextrme droite, antismites et ngationnistes, ne lui vaudraiten temps normal quĠun commentaire amus. Car, en cela aussi, il nĠest ni lepremier ni le dernier.
Lo le bt blesse vraiment, cĠest quand M. Mnargues entreprend de dvoiler laprofonde philosophie qui serait lĠorigine du ÇMur de SharonÈ. Cettephilosophie, ou plutt cette thologie, repose selon M. Mnargues sur unprincipe fondamental du judasme: Çla sparation du pur et de lĠimpurÈ. Si lesIsraliens difient une barrire, ce nĠest ni cause des attentats ni mmepour annexer des territoires: cĠest afin de se sparer, eux Juifs et donc ÇpursÈ,des ÇimpursÈ que sont les Palestiniens. On nĠest pas dans le politique, on estdans le religieux ou dans le magique.
QueM. Mnargues croie en de telles billeveses, et quĠil les rapporte (ajoutant,pour faire bonne mesure, que les Juifs ont eux-mmes cr le premier ghettoafin de se sparer des Çgoys impursÈ), cela ne plaide ni pour son intelligenceni pour sa culture. Mais, l encore, nous en avons vu dĠautres. Le problme estailleurs. Ce prtendu principe de Çsparation des purs et des impursÈ (unclassique de la littrature antismite, consistant projeter sur les Juifs sonpropre racisme, que lĠon retrouve galement dans les crits de Roger Garaudy),M. Mnargues lĠapplique la vie quotidienne de tous les Juifs observants (ousupposs tels). Si vous, lecteur juif de LĠArche, avez omis de serrer la main votre voisin de palier un vendredi matin, et si votre voisin a lu le livre deM. Mnargues ou lĠun des sites internet qui se sont fait lĠcho de ses thses,il tient lĠexplication de votre comportement: pour accueillir le shabbat cevendredi soir, vous devez viter le contact avec un Çgoy impurÈ. Votrecomportement sĠexplique par le ÇMur de SharonÈ, et le comportement dĠArielSharon sĠexplique par votre judit. Vous et Sharon tes de la mme essence. Ornous savons tous ce quĠil faut penser de Sharon. Voir le livre dĠAlain Mnargues.
M.Mnargues, ayant t licenci de ses fonctions de directeur de la rdaction deRadio France Internationale, est devenu un hros pour toute une mouvancepro-palestinienne dĠextrme gauche. Ses lucubrations sur Çla sparation du puret de lĠimpurÈ sont devenues, dans certains milieux, parole dĠvangile. Elles yravivent des passions oublies, elles y suscitent des prjugs tenaces.DĠautant que M. Mnargues nĠest pas le seul tenir pareils propos.
Unjsuite suisse nomm Albert Longchamp, chroniqueur lĠhebdomadaire Tmoignagechrtien, racontait nagure ses lecteurs comment, rencontrant des rabbinsorthodoxes, il les avait vus sĠloigner de lui ds quĠils eurent remarqu lacroix quĠil porte son revers: il tait prtre, donc ÇimpurÈ. Les lecteurs deTmoignage chrtien, qui viennent de participer – personnellement ou parjournalistes interposs – un voyage en ÇIsral-PalestineÈ pour le moinsunilatral, nĠauront pas trop de mal relier le rcit hallucin du jsuitesuisse au livre non moins hallucin du journaliste franais. L encore, toutsĠexplique.
Leridicule ne tue pas, dit-on. Mais cĠest au nom de croyances tout aussiridicules que, par une longue chane de diabolisations, on a t amen tuerdes Juifs. Sommes-nous loin de lĠassassinat dĠIlan Halimi? Oui et non. Lesassassins nĠont sans doute lu ni le jsuite suisse ni le journaliste franais.Et peu importe cet gard – bien que cela importe normment dĠautres gards,au premier chef pour les proches de la jeune victime – si la qualificationÇantismiteÈ doit tre finalement retenue.
Lefait est que des reprsentations diaboliques du Juif, vhicules par des mdiaset des milieux militants, sont transmises des individus qui y trouvent desmotifs de haine et des dsirs de vengeance. Le Juif est alors peru comme un missairedu mal, un mauvais objet par nature, qui on peut faire expier les injusticesdont on estime avoir t – soi-mme ou par dlgation – la victime.Les provocations antismites dĠun Dieudonn, attribuant notamment lĠchec deses projets cinmatographiques aux Çautorits sionistesÈ qui selon luidirigeraient le cinma, enfoncent le mme clou: les Juifs sont responsables detous nos malheurs.
Savons-nousreconnatre lĠantismitisme? La question nĠest pas nouvelle. On comprend aussique les Juifs agacent. Ils veulent toujours tirer la couverture eux. SouslĠOccupation, au temps de lĠtoile jaune et des rafles, Jean Giono reoit lavisite dĠun ami juif. LĠcrivain transcrit ainsi, dans son journal, la matirede leur conversation: ÇIl me demande ce que je pense du problme juif. Ilvoudrait que jĠcrive sur le problme juif. Il voudrait que je prenne position.Je lui dis que je mĠen fous, que je me fous des Juifs comme de ma premireculotte; quĠil y a mieux faire sur terre quĠ sĠoccuper des Juifs. Quelnarcissisme!È
Retenonssurtout lĠaccusation de ÇnarcissismeÈ. De Giono et de son ami juif, cĠest Gionoqui pche par narcissisme en refusant dĠadmettre que ses petites misres dutemps de guerre sont infiniment moindres que les horreurs frappant les Juifs.Mais il est vrai quĠun individu perscut, ou tout simplement sujet desdiscriminations et des attaques, fait mauvaise figure. Au lieu de sĠintresserau destin du monde, il se proccupe de son sort.
Nousretrouvons des chos lointains de ce Giono-l chez des ÇantiracistesÈ quireprochent aux Juifs de faire bande part et de souligner la spcificit delĠantismitisme. Les Juifs, disent-ils, ne seraient-ils pas bien aviss deconfondre leurs soucis et ceux de tous les opprims?
Concrtement,on attend aujourdĠhui des Juifs quĠils oublient et laissent oublier un faitpourtant lourd de signification: dans la France de 2005, malgr la forte baissedes incidents antismites, les Juifs ont subi eux seuls plus de la moiti desviolences racistes. En dĠautres termes, compte tenu de leur faible nombre, lesJuifs sont dix fois plus exposs la violence raciste que les autres groupes(noirs, musulmans, etc.). Cumulards.
Jedis bien: violence raciste. Pas seulement les incivilits, les tracts et lesgraffitis: les violences, cĠest--dire Çles actes contre les personnes et lesbiens prsentant un degr de gravit certainÈ. Et mme les blesss par suite deviolences racistes – l aussi, les Juifs restent souverainement dominants.Faut-il le dissimuler? Ou ne devrait-on pas, plutt, sĠinterroger sur une telledisproportion?
Ilest vrai que les violences racistes nĠpuisent pas la question du racisme enFrance. Il y a un autre racisme, qui sĠexprime notamment par les refusdĠembauche et les discriminations au logement, sur lequel on dispose de peu dedonnes mais dont les Juifs semblent relativement moins affects. Les deuxracismes sont galement condamnables, et tous deux doivent tre galementcombattus. Cela ne justifie pas que lĠon tente, comme certains, de contournerlĠobstacle de lĠantismitisme. Ni que lĠon vite de sĠinterroger sur la rticencede certains ÇantiracistesÈ reconnatre les violences qui visent les Juifs(peut-tre parce que, parmi les auteurs identifis de ces violences, beaucoupappartiennent des minorits elles-mmes sujettes au racisme).
Etpuis, il y a le sondage commandit par la Commission nationale consultative desdroits de lĠhomme (CNCDH), dont les rsultats semblent plaider pour une approcheglobale du phnomne raciste, dans la mesure o le concept commun dĠÇethnocentrismeÈpermettrait de dcrire les diverses formes de prjugs visant des individus.Une pareille approche nĠest certainement pas sans mrite, et nous serons lesderniers nier la ncessit dĠune mobilisation citoyenne contre toutes lesdiscriminations.
Cependant,on ne doit pas se dissimuler quĠun sondage produit toujours ce quĠon y a mis.Le refus obstin de la CNCDH de laisser poser Çdes questions qui fchentÈlimite, par force, la signification des rsultats.
Ainsi,la question-type sur Çle pouvoir juifÈ, qui un peu partout dans le monde sert mesurer lĠantismitisme, nĠest pas pose dans les sondages de la CNCDH. Et queserait-ce si on laissait poser des questions sur, disons, Çle pouvoir sionisteÈ,ou Çle lobby pro-isralienÈÉ
Ily a fort parier que des barrires, qui ne tiennent que par les conventions dulangage et la loi du Çpolitiquement correctÈ, sauteraient alors, et quĠon dcouvriraitdes manifestations dĠhostilit aux Juifs dans des secteurs inattendus delĠopinion – tout comme, en dĠautres temps, la polmique staliniennecontre le ÇsionismeÈ rencontra une large audience dans des milieux pourtantformellement opposs au racisme et lĠantismitisme. Des questions de cetordre nĠayant pas t poses dans les sondages officiels, nous en sommes rduitsaux conjectures.
Certainsse satisfont de cet tat des choses, car ils craignent les effets en chane quirsulteraient dĠune libration des tabous. Je les comprends. Mais je ne suispas sr quĠils aient raison. Casser le thermomtre, parce quĠon nĠaime pas cequĠil nous indiquerait, nĠest jamais une bonne approche des problmes.
LĠantismitismeest parmi nous. Il nĠest pas majoritaire, loin de l, et les comparaisonsinternationales montrent quĠ tout prendre la France nĠest pas si mal lotie.Mais il est l: gauche et droite, chez les Chrtiens et chez les Musulmans,chez les Blancs et chez les Noirs, chez les riches et chez les pauvres, chezles conservateurs et chez les rvolutionnaires. Virus mutant par excellence, ilprend des formes multiples allant du discours conspirationniste la prdicationreligieuse, de lĠaffirmation politique au dguisement culturel, de la diatribe enflamme la suggestion discrte.
Lesantismites ne se connaissent pas tous, ne se concertent pas, et se combattentsouvent par ailleurs. Mais ils se citent les uns les autres et, mme sĠils nelĠavouent pas, leurs thmatiques sĠenrichissent mutuellement. Les statistiquesdes violences antijuives, et les actes tragiques qui parfois mergent de cettemasse indistincte, ne sont que la partie visible dĠune ralit socialeinfiniment plus complexe. Identifier cette ralit, lĠanalyser et la combattre,nĠest pas une forme de ÇnarcissismeÈ juif. CĠest, au contraire, unecontribution ncessaire la paix civique.
SouvenirsdĠavant-guerre
parArnold Mandel
Articleparu dans LĠArche nĦ111 (mai 1966)
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Extrait de LĠArche nĦ 577, mai 2006
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ËGenve est mort tout rcemment le publiciste Josu Jhouda qui, durant des annescritiques de lĠentre-deux guerres, fonda puis dirigea la Revue Juive de Genve.Cette publication fut, pendant longtemps, la seule revue juive de langue franaiseet la lecture de la collection complte est intressante maints gards.
LaRevue Juive de Genve tait base sur la formule de la ÇsynthseÈ et sondirecteur pensait que le judasme pouvait sĠamnager en aperus synthtiquesentre lĠesprit moderne et la tradition juive, lĠun et lĠautre de ces lments tantdfinis, en lĠoccurrence, de manire assez vague ou pas dfinis du tout.
Quandon demandait Josu Jhouda ce que cĠtait, selon lui, la tradition juive, ilrpondait invariablement Çmonothisme!È. Quand on lui disait: Çet encoreÈ, iltapait du poing sur la table et rptait: Çmonothisme!È. Les Juifs – ycompris les collaborateurs de la revue – demeuraient sceptiques quant aucaractre exhaustif de cette dfinition lĠhaleine courte. Mais les pasteursprotestants, dans les parages, se montraient nettement pour.
Vinrentles jours sombres de 1938, la monte des prils, lĠantismitisme croissant, mmeen France et dans les pays de langue franaise. Tout ÇmonothismeÈ cessant, laRevue Juive de Genve se mit en qute de dclarations antiracistes dĠhommes dequalit. Sur la place de Paris, lĠauteur de ces lignes fut charg de stimuleret de recueillir des professions de foi qui feraient enfin monter lĠcarlate dela honte aux faces sans vergogne des Hitler, Streicher, GÏbbels.
ÇNotrecorrespondant particulierÈ se rendit aussitt au nĦ1 de la rue Vaneau. Lhabitait Andr Gide. Celui-ci, sans difficult aucune, approuva la Revue Juivede Genve dĠtre contre le racisme et lĠantismitisme, comme il lĠtait lui-mme.Ce fut, dans cet ordre dĠides, lĠultime manifestation dĠune vigueur gidienne.Car, par la suite, il ne fit jamais le moindre geste ni le moindre pas dans cesens.
LĠauteurdramatique Lenormand me reut dans la chambre coucher de sa maman. Ë un imprieuxcoup de tlphone (probablement dĠun fournisseur rclamant le paiement dĠunenote), il rpondit, hautain et agac, quĠil nĠavait pas le temps tant, pour lemoment, interview par Çun grand journaliste trangerÈ. Puis il me dclara que,pour son thtre, il avait besoin de lĠlment pathtique juif, comme il avaitbesoin du ngre et de la ngritude. Que pensait-il de lĠantismitisme de Cline(Bagatelles pour un massacre venait de paratre)? Lenormand mit son index surles lvres et murmura: ÇJe ne dirai jamais de mal dĠun confrreÈ. Je lui fisalors remarquer quĠaprs tout, Hitler aussi tait un ÇconfrreÈ, ayant crit unlivre nomm Mein Kampf. Dans son grand dodo dfait, la vieille dame – MmeLenormand mre – clata dĠun rire sardonique. CĠtait assez sinistre.
M.de Montherlant mĠvita le drangement. Il rpondit par lettre dactylographie,disant en substance quĠayant connu plusieurs matresses juives, il nĠeut jamaisquĠ se louer de leurs services.
LaRevue publia tous ces tmoignages dĠhumanitarisme. Puis ce fut la guerre et ilnĠy eut plus de Revue Juive de Genve.
Danssa jeunesse, Josu Jhouda avait t lĠami et le compagnon de Panat Istrati.Avec Jhouda, Istrati crivit un roman Çjuif juifÈ: La famille Perlmuter.
Onsait que Panat Istrati, retourn dans sa Roumanie, finit en antijuif venimeux.CĠtait avant-hier, et tous ces personnages font partie dj dĠun jeu dĠombres.Mais nous nĠavons pas encore achev de rgler nos comptes avec les spectres. Detemps autre, en songe, jĠaperois Panat Istrati. Je lui pose alors laquestion: ÇPourquoi diable, toi, es-tu devenu antismite?È Or, ds quĠil ouvrela bouche, sĠapprtant me rpondre, immanquablement je mĠveille.
LĠassassinatdĠIlan Halimi: ÇCĠest un complot sionisteÈ
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LĠenlvementet lĠassassinat dĠIlan Halimi ne sont pas ce que vous croyez. CĠest un complotsioniste visant faire chouer le projet dĠabrogation de la loi qui rprime lengationnisme, dite Çloi GayssotÈ. Heureusement que nous avons en Francequelques valeureux combattants du ngationnisme, comme Robert Faurisson, RogerGaraudy, Pierre Guillaume et Serge Thion (ce dernier est un ancien militantdĠextrme gauche et ancien chercheur au CNRS, dont il a t licenci parcequĠau lieu de travailler sur le Cambodge il publiait des textes antismites etngationnistes), pour djouer les plans sionistes et faire connatre la vritsur lĠimposture du prtendu Holocauste.
Onapprend tout cela dans un article sign du pseudonyme ÇSerge NoithÈ (o a-t-iltrouv cela, on se le demande), intitul Ça sent le CarpentrasÈ, dat du 26 fvrier2006 et publi successivement sur le site islamiste Quibla.net et surdieudo.net/2007, le site de campagne de Dieudonn, candidat la prsidence dela Rpublique.
LĠarticlecommence par cette phrase: ÇAujourdĠhui les rues de Paris sentent furieusementle Carpentras.È Pour qui ne lĠaurait pas compris, Carpentras cĠest laprofanation du cimetire juif qui, en 1990, avait mu la France entire. OrlĠaffaire de Carpentras, rvle lĠauteur, tait Çune provocation grotesqueÈ quiavait dbouch sur Çune grande communion nationale de prosternation devant lĠtoilede DavidÈ. En vrit, les auteurs de la profanation taient Çmanipuls par la ScuritMilitaireÈ. Les Franais ÇsĠtaient fait rouler dans la farine par Joxe,ministre socialiste de lĠIntrieur, par les organisations sionistes et par lapresse qui avait suivi le mouvement, comme toujoursÈ. Ë quelles fins? ÇLe rsultatle plus durable de cette esbroufe avait t le passage sans douleur et sans relleopposition de la loi Gayssot.È Pour ce qui est du lien entre la loi Gayssot etla Scurit Militaire, peut-tre ÇSerge NoithÈ en sait-il le secret mais il nele partage pas avec les lecteurs de Quibla et de Dieudo.net.
Retour Paris, en 2006. ÇLĠaffaire du jeune homme enlev, tortur et tu par desvoyous, sent le Carpentras plein nez.È Les auteurs de la manipulation sont Çleslments les plus extrmistes de la droite hypersioniste ParisÈ. Pourquoi? Lencore, ÇSerge NoithÈ a la rponse. ÇNe cherchons pas loin: un fort vent decontestation de la loi Gayssot sĠest lev en dcembre dernier. Elle a subi uneavalanche de discrdits. On la classe dsormais dans ces lois liberticidesquĠil faut abroger! Il fallait sĠattendre une raction de la part de ceux qui elle fournit un norme privilge dĠimpunit.È
LĠarticlede ÇSerge NoithÈ parat, rappelons-le, le 26 fvrier 2006, cĠest--dire le jourmme o une marche a lieu Paris et dans plusieurs villes de province la mmoiredĠIlan Halimi. Et ÇSerge NoithÈ dĠalerter ses lecteurs: ÇRegardez bien la ttede ceux qui vont dfiler aujourdĠhui: ce sont ceux qui cherchent dtruire nosliberts.È Un dessin?
OlĠon apprend que les militants juifs de Mai 68 taient, en ralit, des agentsisraliens dguiss
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Noslecteurs ont dj fait la connaissance dĠune dame qui signe Leila Salem. Elleavait publi sur plusieurs sites internet un article o, sous couvert de dnoncerÇla concentration capitaliste dans les mdiasÈ, elle se livrait unecompilation de patronymes trangement ÇciblsÈ – commencer par unRedstsone dont elle tenait absolument nous informer quĠil tait Çn RothsteinÈ(voir LĠArche nĦ576, avril 2006).
LeilaSalem est revenue le 18 mars 2006, avec un article intitul ÇRecette pour dtruirela dmocratieÈ. Publi dĠabord sur le site Çrouge brunÈ Oulala.net, il estrepris le mme jour par le site ÇLa Banlieue sĠexprimeÈ, qui relve de lamouvance Dieudonn, puis le lendemain 19 mars par un autre site de la mmemouvance, ÇLes OgresÈ, et, toujours le 19 mars, par un site ÇrougeÈ mtin de ÇbrunÈnomm Bellaciao.
Cetarticle, bien que trs long et plutt ennuyeux, contient des passages ÇexplosifsÈ.QuelquĠun a d sĠapercevoir que lĠauteure tait alle trop loin, car lĠarticlea vite t effac des sites en question. Vite, mais pas assez vite pour quĠilnĠen reste pas des tmoignages. Voici donc ce que Leila Salem a crit, ce queplusieurs sites ont publi, et ce que des milliers dĠinternautes ont lu (etlisent encore, car lĠarticle a t copi sur des sites militants qui nĠont pascompris la consigne du silence donne entre-temps).
LĠauteurepart dĠun constat: suite aux attentats du 11-Septembre, Çun climat dltre cret entretenu par des lus, des grands mdias et des intellectuels a permis lamutation du racisme anti-arabe en un racisme honorable qui sĠexprime hautevoix et sans aucun complexeÈ. Principaux coupables: les Çnouveaux ractionnairesÈ,encore nomms Çno-conservateursÈ. Ceux-ci Çsont pour la plupart dĠentre euxsionistes et anciens trotskistesÈ. Comment agissent-ils? Lisons Leila Salem. ÇPourasseoir leur idologie, ce groupuscule opaque sĠest retranch dans desofficines obscures et opre sous lĠgide de think tanks aux noms fallacieuxafin de mieux tromper lĠadversaire; puis lĠaide dĠun crayon et dĠun papier,il a chafaud un plan et labor une stratgie globale pour propager lĠideselon laquelle lĠarabe ou le musulman, identifi avec le terrorismeinternational, est une menace sans prcdent pour les tats-Unis en particulieret le monde occidental en gnral.È
Mais,dans le cas de la France, Çcomment expliquer raisonnablement cette mutation idologiqueradicale lorsquĠon sait que ces intellectuels sont presque tous issus de lagauche et que parmi eux beaucoup furent les hrauts du vent de libert de mai68 voire les meneursÈ? Leila Salem nous propose une rponse, rhtoriquementformule sur le mode interrogatif: ÇSe peut-il que lĠengagement en mai 68 deces intellectuels viscralement proches dĠIsral nĠtait pas sincre et nĠavaitpour seul but que lĠutilisation de la colre et de lĠnergie des rvolts pourmettre KO De Gaulle et promouvoir leurs intrts et ceux dĠIsral?È
SeulelĠextrme droite osait le dire en 1968, mais aujourdĠhui on peut lĠcrire surlĠinternet ÇalternatifÈ: les militants juifs de Mai 68 taient, en ralit, desagents israliens dguiss. Ils avaient vingt ans peine mais ils avaient,sans doute, t dment forms dans les coles du Mossad. En tout cas, le faitest l: sĠils militaient au sein des organisations trotskistes ou maostes, cĠtait seule fin de servir les intrts de lĠtat dĠIsral.
DĠailleurs,explique Leila Salem, Çle mme phnomne sĠest produit aux tats-UnisÈ. De quoisĠagit-il? Des futurs Çno-conservateursÈ, qui lorsquĠils taient de jeunemilitants de gauche ont pris une part active au combat des Noirs pour lĠgalitcivique. CĠtaient des conspirateurs, eux aussi, comme Çde nombreux Afro-amricainsÈen ont fait le constat: Çils ont utilis la colre et lĠnergie des noirs pourarriver au pouvoir et non pour amliorer les conditions de vie des Afro-amricainsÈ.Pour davantage dĠclaircissements ce sujet, et une application de ce principeau cas franais, lire les sites de la mouvance Dieudonn.
Nousvous pargnerons la suite de lĠarticle, qui est un Çcopi-collÈ de diverstextes conspirationnistes o lĠombre du Mossad semble ternellement planer surla France. Un passage mrite cependant dĠtre not ici: il a trait au ÇmilliardaireGeorges [sic] SorosÈ. Leila Salem ne sait pas crire le prnom anglais deGeorge Soros, mais elle sait recopier les attaques douteuses visant cet hommedont les Çmachinations financires sont en partie responsables de ladestruction du systme socialiste en Europe de lĠEst et dans lĠancienne URSSÈ,dont les Çoprations financires sont dĠune amoralit absolueÈ, et qui, selon Çunactiviste ThaÈ anonyme, est Çun DraculaÈ qui Çsuce le sang du peupleÈ.
Icivient, fort propos, une citation de lĠancien premier ministre de Malaisie,Mahathir Mohamad, aprs une chute de la monnaie malaise en 1997: ÇNous nevoulons pas dire quĠil sĠagit dĠun complot des Juifs, mais cĠest bien un Juifqui a provoqu la chute de notre monnaie et il se trouve que le financierGeorge Soros est un Juif.È Pour enfoncer le clou, Leila Salem ajoute une autrecitation de Mahathir affirmant que non seulement Çles Juifs veulent dpouillerles PalestiniensÈ mais quĠÇils sĠen prennent aussi notre paysÈ.
Lemessage a t reu cinq sur cinq, si lĠon en juge par le commentaire dĠunlecteur post ds le 21 mars sur Oulala.net. On y apprend que si Çles musulmansÈont eu des ÇtortsÈ, cĠest pour Çne pas avoir compris que les sionistes taientanims par la haine leur gardÈ et Çavoir des dirigeants corrompus, imposspar ces mmes sionistesÈ. Suit un rsum de la thse conspirationniste bienconnue sur les attentats du 11-Septembre: ÇLes attentats nĠont t quĠun prtexte,quĠune manipulation pour faire accepter lĠimage que lĠon veut donner desmusulmans et ainsi justifier le conflit des civilisations. Le but tantdĠasseoir la domination sioniste sur le monde.È
Encoreune remarque. Les articles de Leila Salem, comme beaucoup dĠarticles diffusssur internet, contiennent des Çliens hypertexteÈ. CĠest--dire quĠen cliquantsur un mot au milieu de lĠarticle on est renvoy une autre adresse contenantdes informations complmentaires. Or le prsent article de Leila Salem contientun paragraphe sur ÇlĠaffaire des caricatures, une manipulation noconservatriceÈ.On y retrouve la thse conspirationniste selon laquelle lĠaffaire descaricatures de Mahomet est le fruit dĠun Çplan machiavliqueÈ concoct par quivous savez, le principal agent des ÇmarionnettistesÈ tant Daniel Pipes –Çun journaliste, un crivain, un militant sioniste et un noconservateur amricainÈdont Leila Salem tient faire savoir quĠil est n Boston Çde parents juifsqui ont quitt la Pologne pour les USA en 1939È. Pipes Ça rencontr au cours delĠt 2005 Flemming Rose, responsable de la page ÒKultureÓ du quotidien danoisJyllands-Posten, et lui a suggr de publier des caricatures sur lĠislamÈ. Ceparagraphe est enrichi dĠun Çlien hypertexteÈ qui renvoie un article portantexactement le mme titre, publi par le site internet dĠextrme droite Gostratgie.comet sign de Gilles Munier, un vieux militant fasciste devenu agent dĠinfluencedu gouvernement de Saddam Hussein (et rcemment mis en examen, dans le cadredes rvlations sur la corruption dĠhommes politiques par les ptro-dollarsirakiens). Tout se tient.
Ëpropos de Çliens hypertexteÈ: si lĠon clique sur le nom de lĠauteur, qui se prsentesur Bellaciao comme une militante dĠAttac, on voit apparatre une adresse decourrier lectronique commenant par Çleila_palestine_libreÈ.
Çĉtresans destinÈ, un film qui donne au cinma toute sa dignit
parAnne-Marie Baron
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Extrait de LĠArche nĦ 577, mai 2006
Numro spcimen sur demande info@arche-mag.com
Reproduction autorise sur internet avec les mentions ci-dessus
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ImreKertsz, Prix Nobel de littrature en 2002, dit quĠÇon ne peut pas filmer laShoahÈ. Il a donc tenu crire lui-mme le scnario qui adapte son roman ĉtresans destin pour Lajos Koltai, lĠun des plus grands chefs oprateurs hongrois(Mphisto, Colonel Redl), dont la lumire est lĠlment naturel. Il sĠassuraitainsi de la fidlit du film au texte, cĠest--dire son exprience vcue etau ton sur lequel il avait choisi de la communiquer.
Premierouvrage de Kertsz publi en 1975, ĉtre sans destin est un Çroman de formation lĠenversÈ, qui raconte la premire personne lĠexprience dĠun jeune Juifhongrois dans les camps de concentration allemands, puis son retour la vie,aprs la libration. Ë quatorze ans, Gyuri Koves, dit ÇGyurkaÈ, est arrt parun policier hongrois dans un autobus, non loin de Budapest. Aprs une longueattente avec dĠautres adolescents, il est emmen vers une destination encoreinconnue et difficile prononcer: Auschwitz-Birkenau.
Transfr Buchenwald, puis Zeitz, il connat la faim, le froid, le travail forc, ladshumanisation, le dsespoir. Trs malade, il frle la mort jusquĠ ce que lecamp soit finalement libr par les Amricains. Sur le chemin du retour versBudapest, sa ville natale, toujours vtu de sa veste raye, Gyurka ressentlĠindiffrence hostile de la population. Ses anciens voisins, gns ds quĠil voqueson exprience et ses souvenirs du camp, le pressent de tout oublier. CĠestalors quĠil connat la pire solitude.
Commentmettre en scne un tel roman, dont la voix narrative est si personnelle et leton si incroyablement dtach? Certes, la reprsentation cinmatographique– qui a t, ds les premiers films sur la Shoah, lĠobjet dĠune longuepolmique entre les partisans du ralisme et ceux de lĠanti-ralisme, entre lestenants du documentaire et ceux de la fiction – ne peut faire problmeici. Car si lĠapproximation, lĠesthtisme et la complaisance ont toujours tconsidrs comme indcents, il est impossible de faire un reproche de ce genre ce film tir dĠune exprience vcue retrace avec une prcision absolue.
DĠailleursKertsz, conscient du risque, a tenu se prmunir contre tout reproche dansune remarque capitale du scnario – publi par les ditions Actes Sud– sur lĠinterdit de la reprsentation: ÇIl est impossible dĠimaginer ladestruction industrielle de six millions dĠhommes, et il ne faut pas la rendreimaginable. Leurs souffrances sont indescriptibles et inimaginables.[É] Si, notre tour, nous transgressons cet interdit, nous ne pouvons le justifier quepar la fiabilit du tmoignage. Nous signalons que notre objectif nĠest pas deproduire une reprsentation de lĠHolocauste, mais de suivre le cheminementdĠune me, et celui-ci passe invitablement par lĠunivers concentrationnaire.Renonant lĠillusion dĠauthenticit – car il est impossible dĠtreauthentique –, nous nous efforcerons au moins dĠtre fidle, noustendrons vers cette solennit austre et rserve qui, nous lĠesprons, sied audeuil de millions dĠhommes.È
Deplus, une lumineuse prface distingue soigneusement film et roman en cestermes: ÇSi le travail du romancier consiste crer son propre univers clos lĠaide de moyens linguistiques, celui du scnariste revient en quelque sorte remettre un chque en blanc au metteur en scne et ses collaborateurs afinquĠils le libellent avec leur art et leur savoir-faire.È Assumant cette sortede schizophrnie qui consiste jouer la fois les rles de romancier et de scnariste,Imre Kertsz avoue que, curieusement, Çen tant que scnariste, lĠcrivain sesurprend tre plus disert et plus personnel; il peut accorder davantage deplace certains dtails autobiographiques, des souvenirs ou des anecdotesquĠen tant quĠcrivain il a vits avec la plus grande rigueurÈ. On ne peutpourtant pas dire que le film soit dpourvu dĠune telle rigueur.
Certainesscnes du roman ont t condenses, mais ses partis pris sont clairs: rcit linairesans flash back et sans images dĠarchives, voix off pour le rcitautobiographique, dialogues brefs, point de vue purement subjectif du jeunenarrateur avec quelques rares images objectives, restriction de champ cequĠil voit et presque rien dĠautre. Tout le travail de lĠimage va dans ce sens:la taille des plans indique le degr dĠattention du garon; les mouvements decamra, sa position physique. Tout est rapproch, les dtails dmesurmentgrossis par ses yeux carquills. Ë mesure quĠil sĠachemine de lĠtat dĠtrehumain regardant droit devant lui celui dĠobjet transport, manipul,brutalis, la perspective change jusquĠ donner des images filmes ras deterre ou lĠenvers. Plonges ou contre-plonges. Plus ou moins floues, plus oumoins absurdes et incomprhensibles. On entend comme lui des bribes dedialogues. La dure des plans mesure lĠintensit des expriences ou la prcisiondes souvenirs. ÇTout est un peu lacunaire, un peu grossi, un peu tragique, unpeu comique, dĠabord alerte, puis, mesure quĠil se fatigue, de plus en plusgrisÈ, crit Imre Kertsz.
LĠextraordinairetravail de Lajos Koltai sur la couleur traduit lĠassombrissement progressif delĠunivers de Gyurka, qui perd peu peu toute nuance, mme de spia, poursĠenfoncer dans un noir et gris tragique. LĠenfant est ici la mesure de touteschoses. Il observe avec intrt et dtachement, comme sĠil nĠtait pas concern,dans une sorte de rve veill. Ce quĠil retient de chaque exprience est limit,dsensibilis, dpourvu de sens. Rumeurs, cris et chuchotements, saccades,saccages.
OnlĠaura compris, le ralisme devient tout fait secondaire. Les accessoires delĠpoque, peine perceptibles, sont sans importance. De toutes faons, ÇlĠabsurditde ces objets et vtements dpasse lĠimagination des accessoiristesÈ. Painboueux, gamelle, latrines, misre, puanteur, puisement, abjection, autant de dfis toute reprsentation. ÇLĠimage est comme un long soupir plaintif.È
Pourtanttout a commenc par jeu, ou comme un jeu. De la main chaude ou des osselets pourtromper lĠattente qui suit la rafle aux fantoches menaants, comment lesenfants peuvent-ils prendre au srieux ces adultes ridicules qui aboient? Leburlesque lĠemporte. Btise policire, grotesque bureaucratique, brutalit imbcile.ÇMon personnage, dit Kertsz, est un enfant mais a nĠest pas parce que jĠen taisun moi-mme. Il est un enfant parce que lĠinfantilisation est caractristiquede toute dictature.È Chaplin, Lubitsch, Benigni ont fait le mme constat. Ducoup, chaque personnage est un type de comdie, une allgorie – LĠExpert,Joli CÏur. Ë partir du wagon, cĠest peine plus srieux; la vie devient uncombat soumis des rgles de survie aussi strictes que celles dĠun jeu. Ladignit, ÇcĠest aussi important que le pain et la soupeÈ.
Desrites sĠinstallent. Gyurka a mme son plat prfr, son heure prfre. La prireest lĠide fixe laquelle on sĠaccroche pour survivre. Et lĠchelle des peinesimpose une ide centrale, la relativit de chaque douleur et la primaut de lafaim. Puis cĠest le jeu de la mort. Tout le monde joue. Il faut de la chance,mais pas de gagnants. Seuls quelques rares cris de rvolte se font entendre: ÇPourquoiest-ce quĠon a tudi le latin? Les maths? Pendant tout ce temps, on aurait d tudierseulement Auschwitz. Ils nous auraient bien expliqu: ÒMon garon, quand tuseras grand, tu seras emmen Auschwitz, et l on te poussera dans une chambre gazÉÓÈ
Desmoments de grce se dessinent, blagues, solidarit, dvouement. Les relationshumaines sont comme pures. Comme si par lĠhumour de lĠabsurde le refus de sepenser en victimes rejoignait lĠternel fatalisme du peuple errant. Momentsintenses, dĠun lyrisme retenu, sur la musique inspire dĠEnio Morricone. Artoptique des costumes rays, symphonie humaine et chorgraphie des rangesdĠhommes aligns.
Ilfaut parler de chef-dĠÏuvre pour ce film, qui donne au cinma toute sa dignit.Car, on ne le rptera jamais assez, seul lĠart peut transcender lĠhorreur. Auxcostumes prs, Dante reconnatrait ici son univers, plus onirique que raliste,plus stylis et symbolique que naturaliste. Imposant lĠpique et le tragiquesans aucun apitoiement, Imre Kertsz est arriv au but quĠil avait fix LajosKoltai: un film la hauteur de ce quĠil relate.