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Israël, le « mur » et le droit
Par Charles Zorgbibe * - Le Figaro
Article mis en ligne le 6 janvier 2004

Le 8 décembre 2003, l’Assemblée générale des Nations unies a demandé à la Cour internationale de justice d’émettre un avis sur « les conséquences en droit de l’édification par Israël d’un mur dans le territoire palestinien occupé ». Le 19 décembre, la Cour a fixé son calendrier : des exposés écrits pourront être remis par l’ONU et tous les Etats membres intéressés jusqu’au 30 janvier 2004 ; une procédure orale sera ouverte à partir du 23 février.

La Cour est saisie ici dans sa compétence consultative : elle ne tranche pas une question de droit par un arrêt ; elle donne une sorte de consultation juridique. Elle se comporte en « mécanisme régulateur des organisations internationales » (David Ruzié). Cette procédure est, en effet, réservée aux organes de l’ONU et aux institutions spécialisées, telles que l’Unesco : elle a été surtout utilisée par l’Assemblée générale des Nations unies, qui a demandé, depuis 1946, une vingtaine d’avis à la Cour.

Contrairement à l’arrêt, l’avis n’a donc pas de portée obligatoire : ainsi, lorsqu’en 1962, la Cour, dans son avis sur « certaines dépenses des Nations unies », considéra que les dépenses relatives aux « opérations de maintien de la paix » étaient obligatoires pour tous les Etats membres, l’Union soviétique et la France, qui contestaient la régularité de ces opérations au Proche-orient et au Congo-Kinshasa, persistèrent dans leur refus de payer leurs contributions à l’organisation mondiale... et leur attitude était juridiquement incontestable.

L’avis n’en a pas moins une grande portée morale ; et il peut contribuer à l’élaboration du droit international : ainsi l’avis de 1949 sur la réparation des « dommages subis au service des Nations unies », au lendemain de l’assassinat du comte Bernadotte, médiateur de l’ONU en Palestine, a reconnu à l’ONU une personnalité juridique « fonctionnelle » dans l’ordre international, la qualité de « sujet de droit » de l’organisation mondiale dépendant des fins qui lui sont assignées.

Dans l’avis sollicité sur le « mur », d’importantes novations procédurales apparaissent déjà : la Palestine, bien que ne figurant pas parmi les Etats membres de l’ONU, est autorisée à déposer un exposé écrit, parce qu’elle dispose d’un « statut spécial d’observateur » et qu’elle est coauteur du projet de résolution de l’Assemblée générale demandant l’avis ; la Cour reconnaît donc la Palestine - sans guillemets - comme un quasi-Etat. De son côté, Israël demande à être autorisé à désigner son propre « juge ad hoc », car il s’estime défavorisé par la présence de deux juges arabes, égyptien et jordanien, au sein de la Cour.

Dans la procédure contentieuse, la possibilité pour un Etat partie au litige d’être représenté par un juge ad hoc, lorsque la partie adverse compte l’un de ses ressortissants parmi les juges de la Cour, n’est pas contestée : ainsi dans l’affaire Congo contre France, qui va être prochainement appelée par la Cour, la République du Congo a désigné son juge ad hoc. En matière consultative, la pratique est plus incertaine : la désignation d’un juge ad hoc fut refusée à l’Afrique du Sud, lors de l’émission de l’avis sur la Namibie en 1971. Reste la question essentielle : la Cour acceptera-t-elle de donner un avis sur la question du « mur » ? Comme l’a fait remarquer la France, qui s’est abstenue lors du vote de l’Assemblée générale, la question posée est, en réalité, de nature politique... et l’avis consultatif doit normalement porter sur une question juridique. En outre, la Cour doit refuser de donner un avis si l’on essaie, par cette voie, de lui faire trancher un différend entre Etats, alors que l’un des Etats refuse de soumettre le litige au jugement de la Cour - il y aurait alors une sorte de détournement de procédure.

Pourtant, la Cour a déjà accepté d’émettre un avis sur des différends entre Etats. En 1975, consultée sur le Sahara occidental, la Cour s’est prononcée sur le statut juridique de ce territoire, qui était interprété de manière contradictoire par l’Algérie, le Maroc et l’Espagne ; surtout, en 1971, dans son avis sur la Namibie, la Cour s’est prononcée contre la présence de l’Afrique du Sud dans l’ancien Sud-Ouest africain allemand, alors que le gouvernement de Pretoria soutenait que la saisine de la Cour n’était pas valable...

Avec un éventuel avis sur le « mur », un nouveau pas serait accompli dans la voie de la « judiciarisation » des relations internationales, alors qu’il y a encore quelques décennies Raymond Aron voyait dans la simple affirmation de l’existence d’un ordre juridique international... le fantasme de professeurs de droit « ivres de concepts ». Cette évolution n’est pas sans risque pour le système international : il importe d’éviter l’apparition de nouvelles tribunes politiques, sous la forme solennelle de juridictions internationales. Demain, la Cour pénale internationale pourrait apparaître comme un Conseil de sécurité de substitution, au sein duquel les Etats poursuivraient l’examen de leurs différends politiques et militaires...

Si la Cour donnait son avis sur l’affaire du « mur », sa consultation aurait cependant pour avantage de préciser la portée de la légitime défense selon l’article 51 de la Charte de l’ONU, dont se réclame Israël : la construction d’une « clôture de sécurité » israélienne en territoire palestinien, en Cisjordanie, à l’est de la « ligne verte », est difficilement défendable, comme le rappelait récemment Avraham Shalom, ancien chef des services de sécurité de l’Etat hébreu ; mais « l’accord de Genève » du 1er décembre 2003, cet étonnant exemple de diplomatie privée, prévoit lui aussi l’installation de « barrières défensives », certes plus consensuelles, le long du corridor entre la Cisjordanie et Gaza.

  • Président du Centre de politique internationale de la Sorbonne.


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