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Quel retour après cinquante ans d’exil ?
Avraham B. Yehoshua, écrivain israélien. *
Article mis en ligne le 4 janvier 2001
dernière modification le 22 juillet 2003

Un réfugié de 1948 qui reviendrait en Israël se heurterait à une hostilité immédiate ; imaginons plutôt qu’il soit dédommagé et vive dans une Palestine indépendante.

Supposons qu’Israël accorde un lopin de terre à la périphérie de Lod, là même où l’on érigerait une cité pour ces réfugiés. Cette zone de Lod n’a jamais fait partie du Lod de leurs ancêtres.

Désormais, tout est clair : l’accord de paix entre Israël et l’Autorité palestinienne risque d’échouer à cause de l’impossibilité pour Israël d’accepter le droit au retour des Palestiniens. Alors qu’à Jérusalem il est possible de trouver une solution de partage, que le problème de la souveraineté sur le mont du Temple (l’esplanade des Mosquées) peut être résolu de manière symbolique et pragmatique. Même l’obstacle des blocs de colonies fait l’objet d’un consensus avec les Palestiniens, et, pour prix du maintien de certains d’entre eux, ceux-là recevront une compensation territoriale à l’intérieur des limites de l’Etat d’Israël. Quant aux problèmes de sécurité d’Israël, ils sont susceptibles d’un accord grâce à l’interposition de forces internationales... Seul le droit au retour représente un casus belli aux yeux de chaque Israélien.

Il y a quelques jours, un certain nombre de militants éminents et vétérans du camp de la paix en Israël ont rédigé une déclaration, dont voici un résumé : d’accord pour le retour, la réhabilitation et l’indemnisation des réfugiés à l’intérieur de l’Etat de Palestine. Mais de retour à l’intérieur d’Israël, il n’en est pas question.

Je voudrais expliquer au lecteur français qui porterait encore un intérêt quelconque au conflit israélo-palestinien, pourquoi j’ai signé, moi aussi, de bon cœur cette déclaration du camp de la paix.

Et je désirerais, cette fois, expliquer ce sujet non de manière abstraite mais par le biais d’un récit concernant un réfugié palestinien qui aurait nom Abou Salam et qui voudrait revenir en Israël plutôt que de s’installer en Palestine. Je veux montrer clairement, à travers un tel récit, pourquoi même ceux qui se battent depuis de nombreuses années pour la paix et le compromis ne peuvent accepter la logique d’une telle volonté de retour.

Supposons qu’Abou Salam ait 60 ans et qu’il soit originaire de Lod (Lydda, en arabe), ville israélienne moyenne, à 10 kilomètres de Tel-Aviv et à portée de l’aéroport principal d’Israël (Ben- Gourion). Cette ville se situe à 45 kilomètres de Jérusalem et à une distance de 50 kilomètres du camp de réfugiés de Kalendya, à la lisière de la ville de Ramallah où demeure, depuis cinquante-deux ans, Abou Salam. Sa famille a fui (ou a été expulsée, c’est selon les circonstances) de Lod pendant la guerre de 1948, après que les Palestiniens eurent refusé la décision de partage des Nations unies, qui proposait l’établissement d’un Etat juif à côté d’un Etat palestinien. Abou Salam avait alors 8 ans et, depuis, il demeure dans un camp de réfugiés à quelque 50 kilomètres de la ville de ses aïeux, dont il se souvient de manière estompée, tandis que ses enfants et petits-enfants n’en connaissent rien. Pourquoi Abou Salam habite-t-il depuis ces dernières cinquante-deux années dans un camp de réfugiés ? Sans doute parce qu’il refuse de s’établir de manière définitive à Kalendya et que son rêve le porte au retour vers le foyer de ses aïeux. Mais, tout en affichant un tel rêve, il pouvait le préserver en menant une vie normale dans une véritable maison et non dans une sorte de pitoyable cabane, dans un camp de réfugiés surpeuplé et misérable, dans des conditions sanitaires déplorables et dans une dépendance à l’endroit des subventions de l’Unrwa (organisme spécifique des Nations unies d’aide aux réfugiés palestiniens). Il pouvait aisément construire une véritable vie à 50 kilomètres de sa ville natale et attendre l’occasion, que ce fût par la guerre ou par un accord de paix, de retourner dans son foyer ou dans celui de ses parents. Mais lui et, surtout, ses dirigeants ont décidé de l’installer dans un état perpétuel de réfugié dans sa patrie, malgré la honte et l’humiliation, afin qu’il puisse être à même un jour de revenir dans ses foyers.

Livrons-nous maintenant à un exercice de simulation et réfléchissons au cas où Israël accepterait la revendication de retour et permettrait à Abou Salam, dans un accord de paix, de revenir dans sa maison de Lod. Cette maison n’existe plus. Ou elle a été détruite et, à sa place, s’élève désormais un immeuble de plusieurs étages. Ou, encore, quelqu’un d’autre l’habite-t-il depuis de nombreuses années et y a tout changé au point de la rendre méconnaissable. Il ne viendrait à l’esprit de quiconque qu’afin de restituer à Abou Salam sa maison ou la parcelle de sol sur laquelle est construit l’immeuble, que l’on détruise l’édifice et que l’on évacue deux cents ou trois cents occupants de leur appartement. Et qu’on les transforme en réfugiés dans le but de rendre à Abou Salam son lopin de terre afin qu’il y reconstruise la maison de ses parents qui y vécurent il y a un demi-siècle et pour laquelle on doute qu’il se souvienne encore de son aspect.

Dans la plupart des lieux où demeuraient, il y a cinquante-deux ans, des Palestiniens, ont été tracées des routes, des usines ont été construites, des cités ont été érigées. La ville de Lod s’est développée, s’est agrandie au cours du dernier demi-siècle, et il faudrait détruire une grande partie de la ville pour restaurer la maison d’Abou Salam et de celles de ses compagnons d’exil.

Il se peut qu’alors Abou Salam dise : Oui, bien sûr, je comprends, il est difficile d’édifier de nouveau la maison originelle où mes parents habitaient et de me rendre mon lieu natal car, pour cela, il faudrait détruire trop de choses. Mais, au moins, permettez-moi de revenir à Lod, dans cette ville où mes parents ont habité.

Poursuivons notre fiction jusqu’au bout... Supposons que l’Etat d’Israël accorde un lopin de terre à la périphérie de Lod, là même où l’on érigerait une cité pour Abou Salam et ses compagnons réfugiés. Cette zone de Lod n’a jamais fait partie du Lod de leurs ancêtres. Là, ils ne retrouveraient pas l’odeur des orangeraies et des oliveraies, dont ils sont nostalgiques. Ils habiteraient certes Lod, mais une Lod administrative, municipale, et non la Lod de leur enfance. Désormais, ils résideraient dans un Etat juif, dont ils ne connaissent pas la langue, dont la culture leur est étrangère, dont la religion de la majorité de ses habitants est une autre religion que la leur. Ils vivraient dans un Etat dont l’hymne et le drapeau sont sionistes. Dont le mode de vie est occidental et où ils seraient une minorité nationale, subissant une vie insatisfaisante et aliénée, beaucoup plus dure que celle que mènent les Arabes citoyens d’Israël, qui y vivent depuis sa fondation et qui se battent encore pour jouir de leurs droits pléniers. Sera-ce donc la réalisation pleine et entière de leur rêve de retour ? Abou Salam et ses compagnons se heurteront, dès le premier moment, à l’hostilité de leur environnement juif, se feront toujours suspecter de menées à l’encontre d’un Etat haï dans son principe même. Quel sens a et quelle utilité a un tel retour, alors que l’autre terme de l’alternative apparaît plus adéquat ?

Oui, le bon choix est là : vivre en effet à 50 kilomètres de Lod. Recevoir des indemnisations généreuses pour les biens qui étaient les leurs et de leurs parents jadis. Construire de nouvelles maisons sur les collines de Ramallah, vivre dans leur propre Etat, sous leur drapeau, avec leurs frères et compatriotes, dans la patrie palestinienne. Un Etat dont ils connaissent la langue, les lois, un pays où ils ont vécu pendant cinquante-deux années. Devenir des citoyens de plein droit qui pourront contribuer, entièrement, à façonner la souveraineté du nouvel Etat palestinien.

N’est-ce pas là le bon choix ? N’est-ce pas la solution logique qui puisse conduire à la réhabilitation des réfugiés, sans essayer de transformer l’Etat d’Israël en Etat binational, avec tous les malheurs et les handicaps qu’engendre une telle cohabitation ?

Dans le monde moderne, des milliers d’hommes changent de résidence, non pas à une distance de 50 kilomètres mais de centaines de kilomètres, et peu se considèrent comme réfugiés ou comme déracinés.

En fait, les Palestiniens qui s’obstinent dans ce droit au retour absurde ne veulent pas la paix mais la justice. Comme Michael Kohlhaas, le héros de von Kleist, ils sont prêts à anéantir la région pourvu qu’apparaisse la justice absolue (selon leur conception). Mais comme dit le merveilleux poète israélien Yéhouda Amihaï, décédé l’an dernier, dans un lieu où l’on exige de faire régner à tout prix la justice, jamais ne fleuriront les fleurs.

Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.

  • Dernier roman traduit en français : « Voyage vers l’an mil », Calmann-Lévy, 1998


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