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A propos d’un « ami » français
Elie Barnavi , ambassadeur d’Israël en France.
Article mis en ligne le 7 août 2001
dernière modification le 16 juillet 2003

Je ne sais ce qui m’a le plus révolté dans cette « Lettre à un ami israélien », signée par Pascal Boniface (Le Monde du 4 août). L’hypocrisie du titre, qui m’a rappelé fâcheusement un méchant pamphlet publié naguère par Ibrahim Souss ?

Le ton mielleux et patelin, qui masque mal une implacable hostilité ? L’écart entre la tonalité de ce texte et celle, brutale, d’un autre qu’il a commis, mais destiné à la consommation interne de son parti ? Le contenu, riche en insinuations idéologiques mais politiquement vide ? Tout cela à la fois, sans doute.

Occupons-nous du contenu. Nous sommes dans les « principes universels », n’est-ce pas, alors au diable l’analyse politique. Car enfin, pourquoi la « voie de la paix proposée par Barak », au dire même de notre censeur, a-t-elle échoué ? Pourquoi le camp de la paix israélien est-il en lambeaux ? Comment a-t-on glissé d’un processus de paix prometteur, qui semblait toucher à son terme, à une campagne de terreur d’une envergure sans précédent, même dans notre malheureuse région battue depuis si longtemps par les vents mauvais de l’intégrisme religieux ? De Camp David à Taba, quel était le partage des responsabilités des uns et des autres dans l’échec ? Sur quoi a buté la négociation, puisque la « création d’un Etat palestinien indépendant et viable », qu’il appelle justement de ses vœux, ne faisait pas problème, ni pour le gouvernement d’Israël ni pour la majorité des Israéliens ? Ne cherchez pas un début d’explication dans le pamphlet du directeur de l’Institut des relations internationales et stratégiques.

Il est vrai que toute analyse politique procède d’une réflexion historique. Or, en guise de réflexion historique, on a ce beau raccourci : « Un pays occupe, à la suite d’un conflit, des territoires, en violation des lois internationales. Trente-quatre ans après, cette occupation se poursuit, malgré les condamnations répétées de la communauté internationale... » Que le conflit en question (la guerre des six jours) ait été provoqué par l’agression de l’Egypte de Nasser, puis, malgré les suppliques du gouvernement israélien de l’époque, de la Jordanie ; que, à l’issue de ce conflit, le gouvernement Eshkol se soit dit prêt à restituer ces territoires en échange de la paix ; que ce ne soit qu’en 1988 (la déclaration d’Alger) que l’OLP se soit prononcée du bout des lèvres pour une solution à deux Etats ; qu’enfin la plupart des Israéliens aient accepté de renoncer à ce qui constitue après tout le coeur de leur patrie historique, en reconnaissant par cela même le fait national palestinien - voilà ce que les lecteurs du Monde ne risquaient pas d’apprendre sous la plume de M.Boniface.

C’est un vieux militant de la paix qui le leur dit : derrière la présentation tronquée et tendancieuse des faits se cache la volonté de délégitimer l’Etat d’Israël et l’idéologie nationale qui l’a fondé.

Bien sûr, M.Boniface n’est pas seul en cause. Son pamphlet participe d’un climat malsain, où il est devenu de bon ton de charger Israël de tous les péchés du monde. Dans le grand cirque médiatique et compassionnel qui obscurcit le cerveau des citoyens, pardon, des consommateurs, la violence d’Etat, fût-elle défensive, est toujours condamnable, celle qui s’exerce contre ses ressortissants et représentants, fût-elle expressément justifiée par une idéologie destructrice, est toujours comprise. Voyez la caricature de Serguei dans Le Monde du 2 août. Ce n’est plus du Plantu, c’est du Konk. Encore un effort, citoyen caricaturiste, et vous descendrez au niveau de votre illustre devancier. Dans le même numéro, Mouna Naïm explique longuement que les « exécutions extrajudiciaires » constituent « une pratique contraire au droit international », notamment à la quatrième Convention de Genève sur la protection des populations civiles en temps de guerre et la Convention des Nations unies sur les droits civils et politiques. Ce qu’elle ne nous dit pas, c’est par quel tour de magie des organisations armées vouées explicitement à la destruction d’un membre souverain des mêmes Nations unies, et qui le prouvent tous les jours, relèvent desdites conventions.

Pourtant, dans le même numéro de son journal elle a dû lire une brève présentation du Hamas (« Une organisation islamique à la fois »sociale« et militaire »), où est cité cet article fondamental de sa charte : « Tout juif est une cible et doit être tué. » Quel sens a dès lors l’expression « exécutions extrajudiciaires » ? De quel appareil judiciaire parle-t-on ? Les fous de Dieu viennent des territoires sous contrôle de l’appareil d’Etat palestinien qui, lorsqu’il ne les encourage pas, ne fait rien pour les arrêter. Dès lors, s’ils parviennent à franchir la ligne verte, seule la chance peut encore les arrêter. Cela arrive parfois, comme l’autre jour à Beth Sh’ean, où la vigilance d’un chauffeur d’autobus a évité un carnage. Mais quel gouvernement responsable compte sur la chance pour protéger ses ressortissants ?

Début juin, si l’on avait intercepté chez lui l’énergumène qui s’est fait sauter à la discothèque de Tel-Aviv, on aurait épargné vingt et une jeunes vies innocentes. Bien sûr, la communauté internationale aurait crié au scandale. Qu’est-ce qui est préférable ? On a parfaitement le droit de discuter la politique du gouvernement israélien, la presse et l’opinion israéliennes ne s’en privent pas ; on n’a pas le droit de ne pas présenter à l’opinion toutes les facettes d’un problème d’une effarante et douloureuse complexité. Il ne faut pas confondre critique et dénigrement.

Mais revenons à notre stratège. M.Boniface ne se contente pas de condamner Israël. Il s’en prend à la communauté juive de France, en la menaçant, excusez du peu, d’« isolement » pour prix de son soutien à Israël. Suivons son raisonnement : Israël conduit une politique criminelle, à laquelle seuls le souvenir de la Shoah et le soutien sans nuance de la communauté juive de ce pays assurent l’« impunité ».

Mais que les juifs y prennent garde, ils risquent de se trouver doublement perdants : d’abord, en radicalisant plus outre les islamistes, ensuite, « à moyen terme », en perdant la bataille de l’influence politique au profit de la communauté musulmane, après avoir déjà perdu la bataille démographique, enfin, en alimentant un antisémitisme qui ne demande qu’à relever la tête.

Ainsi, la communauté juive n’est plus un agrégat d’individus citoyens français dont le combat contre le préjugé antisémite doit être l’affaire de l’ensemble de la communauté nationale, quelles que soient par ailleurs les affinités religieuses et idéologiques de ses membres. La voici redevenue « nation » au sens prérévolutionnaire, qui ferait bien de faire le dos rond afin de ne pas réveiller les vieux démons. Voilà ce qu’on lit en 2001 sous la plume d’un responsable socialiste français.

Encore les lecteurs du Monde ne disposent-ils ici, on l’a vu, que d’une mouture édulcorée des véritables opinions de M.Boniface. Dans un mémorandum à consommation interne du PS, notre homme ne croyait pas nécessaire de prendre des précautions oratoires. Là, en conclusion d’un franc et haineux libelle anti-israélien, à la limite de l’antisémitisme, il invitait ses camarades de parti à abandonner leurs sympathies sionistes traditionnelles et à s’intéresser de plus près au vote arabe. Voilà qui avait au moins l’avantage de la franchise.

Que M.Boniface nous épargne son « amitié », car, avec des amis pareils, qui a besoin d’ennemis ? Mais aussi, camarades socialistes, avec des « stratèges » pareils, qui a besoin d’adversaires politiques ?



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